Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naquit le 13 mars 1741, et le 18 mai le Landtag devenu si fameux dans les annales européennes s’ouvrit à Presbourg. Ce jour-là, la grande bataille recommença qui dure encore aujourd’hui, et qui date du moment où la maison d’Autriche devint souveraine en Hongrie. Au début, bien qu’on ne refusât point d’inviter la reine à venir se faire couronner, on hérissa les préliminaires de la négociation de tant d’obstacles, on se laissa aller à un tel luxe de discussions désagréables pour la souveraine, que l’on comprend assez le mauvais vouloir des « ministres allemands » de Marie-Thérèse, et certaines expressions peu flatteuses pour la nation hongroise que celle-ci leur a si amèrement reprochées. Le premier grief contre les Hongrois aux yeux de la reine dut être le refus absolu par lequel ils accueillirent la proposition de donner au grand-duc une part quelconque dans le pouvoir royal : bien au contraire, il fut décidé que — jusqu’au moment où la question de principe à cet égard aurait reçu une solution légale — on ne prendrait nulle connaissance, même par courtoisie, du « mari de la reine ; » on ne lui réserverait non plus aucune place d’honneur dans les fêtes et cérémonies officielles qui font partie du programme voulu du couronnement[1]. On évoqua tous les articles en litige, on ne laissa en repos aucun sujet de dispute, et on fit tant et si bien qu’à la veille de ce couronnement sans lequel Marie-Thérèse ne pouvait pour ainsi dire entrer

  1. Cet inconcevable règlement fut observé si ponctuellement que lors du couronnement le grand-duc ne prit place qu’à la table royale, où des invitations générales rassemblèrent à la fin du jour toutes les notabilités du pays. Ni dans la salle du trône au château, ni dans la cathédrale, ni dans aucune des antiques observances où elle s’affermissait dans la succession de saint Etienne, nulle part Marie-Thérèse ne vit près d’elle celui que jusqu’à sa dernière heure elle ne cessa d’appeler « cet adorable époux. » Elle fut partout seule ce dimanche cinquième après la Pentecôte, seule au palais, à l’église, à la procession, seule vis-à-vis de cet étrange peuple sur lequel elle devait exercer une si grande influence. Aussi pas un récit du temps qui ne constate l’air de tristesse de la princesse, le nuage qui assombrissait son front surchargé de joyaux étincelans. Parmi les restes d’une époque barbare, il y a un usage qui astreint les rois hongrois à monter à cheval et à se rendre au Königshugel (un monticule au bord du Danube), d’où, prenant en main l’épée du grand saint Stephan, ils en dirigent la pointe vers les quatre points cardinaux en signe de la défense du royaume, assurée à l’est et à l’ouest, au midi et au nord. Marie-Thérèse, resplendissante de draperies d’or, couronne en tête, épée au flanc, franchit la montée du bond d’un magnifique cheval noir, et apparut vraiment en reine de la légende aux yeux de cette impressionnable nation, qui la salua du cri (autorisé, depuis la veille) de vivat domina et rex noster ! François de Lorraine vit tout cela de loin, en simple particulier. Il faut lire là-dessus les écrivains du temps pour se faire une idée de la singulière position de ce dernier Guise, se « faufilant » par des rues borgnes et assistant d’endroits cachés à ces splendides cérémonies qui faisaient de sa femme un des grands monarques de l’Europe. « Per strade oblique, écrit Capello à son gouvernement à Venise, provenne in situazioni inosservare la regina onde veder tutte le cérémonie ! »