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des globules de levure de bière dans un liquide sucré, qu’on maintient à une température inférieure à −10 degrés, rien ne se passe dans le liquide ; la levure engourdie reste sans action sur le sucre, et il ne se forme ni acide carbonique ni alcool ; mais si on élève la température à +30 degrés, on voit bientôt la fermentation marcher avec une très grande activité. Dans ce cas encore, on n’a pas agi sur la propriété de fermentation qui est essentielle et innée à la levure ; on n’a fait que produire les conditions chimico-physiques sous l’influence desquelles la fermentation s’arrête ou se manifeste. Si maintenant nous prenons nos exemples dans les phénomènes les plus élevés et les plus mystérieux des êtres vivans, nous verrons que l’application de l’expérimentation doit toujours être comprise de la même manière. Ce qui se passe chaque jour sous nos yeux pendant l’incubation dans l’œuf d’une poule serait bien fait pour nous émerveiller et pour nous montrer toute la profondeur de notre ignorance ; mais par habitude nous cessons de nous étonner des phénomènes vulgaires, parce que nous cessons d’y réfléchir. On a comparé l’évolution organique silencieuse qui s’accomplit dans cet œuf à l’harmonie muette des corps célestes dans l’espace. Van Helmont, qui nous apparaît comme une sorte d’esprit lucide au milieu des ténèbres du moyen âge, avait placé dans l’œuf un archeus faber, ou une idée, qui dirigeait l’évolution[1]. Cela ressemble bien en effet à une idée qui se développe, car dès ce moment tout est coordonné, tout est prévu non-seulement pour l’évolution du nouvel être, mais pour son entretien fonctionnel durant sa vie entière, car la nutrition n’est que la génération continuée. Et si maintenant nous recourons à la science moderne, nous verrons que dans l’œuf la partie essentielle se réduit à une petite vésicule ou cellule microscopique, tout le reste de l’œuf de l’oiseau, le jaune et le blanc, n’étant que des matériaux nutritifs destinés à fournir au développement qui doit se faire en dehors du corps maternel. Nous serions donc obligés de mettre dans la simple cellule organique microscopique qui compose l’œuf de tous les animaux une idée évolutive tellement complexe que non-seulement elle renferme tous les caractères spécifiques de l’être, mais qu’elle retrace encore tous les détails de l’individualité. C’est ainsi que chez l’homme une maladie qui apparaîtra par hérédité vingt ou trente ans plus tard se trouve déjà en germe dans cette vésicule mystérieuse. Mais cette idée spécifique contenue dans l’œuf ne se manifeste et ne se développe elle-même que sous l’influence de conditions purement physico-chimiques. Comme notre cellule de levure de bière, la cel-

  1. Voyez la thèse sur Van Helmont de M. J. Guislain, la Nature, etc., p. 104.