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O Welches ! dirais-tu, puisqu’aux races future
Vous voulez sûrement transmettre vos figures,
Donnez-vous ce plaisir, allez même à Paros
Puiser l’élément pur d’où tant de fiers ciseaux
Tirèrent l’idéal de notre forme humaine,
Et d’où sortit un jour la blanche Anadyomène.
Pour vous, rien de trop beau, rien de trop précieux :
Posez-vous en guerriers, en prophètes, en dieux ;
Prenez six pieds de taille et des crânes énormes ;
Couvrez-vous de manteaux ou laissez voir vos formes ;
Soyez tels qu’il vous plaît d’être vus,… mais jamais
Ne soyez ressemblans, car vous êtes trop laids.

D’autres pièces montrent la même verve, la même gaîté au service du bon sens. Il y a du Callot et du Régnier dans la peinture des Raffinés. Les Embaumeurs contiennent, sous une forme légère, une pensée assez forte. Le Diner d’Anges est une jolie esquisse où le poète châtie en souriant des personnages qui se croient redoutables. J’aime aussi dans Une Réfutation d’Horace ce vieux paysan de l’Ombrie qui semble dessiné par un Léopold Robert, ce langueyeur de porcs si content de son humble fortune et opposé plaisamment au génie de l’action, à l’organisateur infatigable, insatiable, à celui qui disait un jour : « La place de Dieu le père, je n’en voudrais pas ; Duroc, c’est un cul-de-sac. » Mais pourquoi donc la pensée toujours si honnête de M. Auguste Barbier se produit-elle çà et là sous des masques de théâtre qui vraiment ne sont pas dignes de lui ? S’il avait songé davantage à l’unité de ton, il n’aurait pas rajeuni une satire d’Horace en substituant à Ulysse et à Tirésias les étranges interlocuteurs qu’il met en scène. Ce ne sont pas là des types que l’art puisse avouer. Moralités et atellanes demandent aujourd’hui une délicatesse que pouvaient dédaigner les vieux âges. En somme, bien que M. Barbier ait retrouvé quelques accens du badinage gaulois, la meilleure pièce du recueil est celle que soutient une pensée forte. Tel est ce dialogue de l’Arétin et de Titien où le cynisme de l’épicurien athée et l’indifférence morale du grand artiste sont mis à nu avec une habileté magistrale. Point d’indignation, point de trivialité non plus ; les deux personnages discutent le plus naturellement du monde et se trouvent bientôt d’accord. C’est le train de l’Italie au XVIe siècle, hélas ! c’est le train du monde en toute société corrompue, et le poète a intitulé son tableau le Secret de bien des gens. Je n’avais pas tort de dire que M. Auguste Barbier, à travers toutes les variétés et même les défaillances de son inspiration, a été constamment fidèle à ce respect de la pensée, à ce souci de l’honnête, à cette haute moralité humaine sans laquelle il n’est pas de poète digne de ce nom.