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La littérature contemporaine. Il sent et il pense avant de parler… » C’est ce foyer de sentimens et de pensées qui me paraît un des traits distinctifs de M. de Laprade, et les conseils, les exhortations que l’austère critique lui adressait avec confiance donnent, ce me semble, une valeur instructive au tableau des transformations accomplies ou tentées par le poète. Dans une étude qui ne se borne pas au jugement de quelques œuvres, mais qui se préoccupe de l’état général et de l’avenir de notre poésie lyrique, il n’est pas inutile de relier le passé au présent. La voix de Gustave Planche m’invite à jeter un regard en arrière pour marquer avec plus de précision ce que représente le recueil nouveau de M. Victor de Laprade.

M. Sully Prudhomme, dans sa pièce à Alfred de Musset, le félicite d’être venu à l’heure privilégiée du siècle :

Toi qui naissais à point dans la vie où nous sommes,
Ni trop tôt pour savoir, ni, pour chanter, trop tard.


M. Victor de Laprade est venu un peu tard pour chanter ; il a débuté en 1840, au moment où le grand concert venait de finir, où les auditeurs se dispersaient, où l’attention publique se tournait d’un autre côté. Il était seul, il chanta cependant ; il chanta sans se décourager, et peu à peu il sut se former un auditoire. Son poème de Psyché était un noble début. Sous le voile des antiques fictions, le jeune compatriote de Ballanche, le disciple fervent d’Edgar Quinet célébrait les efforts, les combats, les douleurs, les ravissement de l’âme au milieu des mystères de la vie, et le triomphe du bien sur le mal. Les Odes et Poèmes, son second ouvrage, étaient l’hymne du poète en face de la nature. Entraîné par l’ardeur lyrique, M. Victor de Laprade avait-il cédé aux séductions de l’enchanteresse ? Pareil à ce pêcheur de Goethe que fascine le chant de l’ondine, ne s’était-il pas plongé et comme perdu au sein de la vie universelle ? N’y avait-il pas enfin ça et là un souffle de panthéisme dans ces amours du poète avec les chênes au fond des forêts fraternelles ? On l’a dit, et je crois en effet que l’expression enthousiaste a quelquefois trahi la pensée de l’écrivain ; mais l’inspiration générale du recueil ne réfutait-elle pas suffisamment ce reproche ? Deux pièces, Alma parens et la Mort du Chêne, tout imprégnées de ces émanations de la nature, ont été précisément glorifiées sans réserve par le juge dont je viens de citer le nom. Ce que M. de Laprade cherchait sous les chênes druidiques, ce n’étaient pas les énervantes rêveries des peuples du Nord, c’étaient les mâles conseils d’une nature toute pleine de Dieu. Il fallait cependant que cette aspiration ardente vers l’infini revêtît enfin une expression plus précise.