Heureux les simples cœurs ! ils seront rois au ciel.
Heureux les offensés qui s’éloignent sans fiel !
Car ils seront jugés par leur miséricorde.
Heureux les fils de Dieu, les hommes de concorde !
Heureux les désolés ! ils vont lever le front.
Heureux les altérés de justice ! ils boiront.
Heureux les purs ! leurs yeux vont goûter la lumière.
Heureux les doux ! les doux posséderont la terre.
Si tel est le rêve du jeune poète au sujet de la parole, quel sera donc l’idéal de cette parole privilégiée qui se nomme l’art ? L’art, c’est le litre d’une espèce de symphonie qui commence assez bizarrement par la glorification de Hegel, mais où la pensée de l’auteur, se dégageant peu à peu, finit par célébrer l’union de la pensée et de la forme, le juste accord du réel et de l’idéal. M. Sully Prudhomme enseigne ici par le précepte beaucoup plus que par l’exemple : il ne possède, pas encore cette harmonie dont il parle ; il s’exhorte à l’acquérir, il y vise, il l’atteindra peut-être. La recommander, si chaleureusement, l’appeler avec tant d’ardeur même en des vers inégaux où il y a plus de souffle que de mesure, ce n’en est pas moins un bon signe. Les images se heurtent, je l’avoue ; n’importe, les conseils sont vrais, l’inspiration est noble, et, comme l’auteur semble parler au nom des générations qui arrivent, nous prenons acte bien volontiers de ce solennel engagement, de ces vives paroles qui terminent son poème, et qu’il adresse aux maîtres de l’art ancien :
Vous tous, prodiguez-nous les leçons et l’exemple,
Vous, les forts, dont l’esprit veut reposer toujours
Sur le couronnement solide et pur du temple,
Sur l’aile du poème ou le flot du discours !
Enseignez-nous encor le secret de vos lyres,
De vos mâles ciseaux, dont la naïveté
Nous fit toucher le vrai jusque dans leurs délires
Et jusque dans les dieux sentir l’humanité.
Transportez-nous encore où le bonheur commence,
Au seuil des paradis que nous promet la mort :
La foi dans l’idéal est la sainte démence
Qui fait de l’œuvre humaine un vertueux effort.
Elle est le goût suprême, et toute fantaisie
Se condamne à périr en lui faisant affront.
Le beau reste dans l’art ce qu’il est dans la vie.
A défaut des vieillards, les jeunes le diront…
Qu’ils le disent donc, et puissent-ils demeurer fidèles à leurs promesses ! Dans une pièce du même genre sur Alfred de Musset, pièce ardente et inégale, l’écrivain continue le développement de sa pensée. Il prend à partie le chantre aimé de la jeunesse, et lui demande compte des dons merveilleux qu’il avait reçus. Sans le