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l’autre pour la tristesse : il les confond, le rêveur, et c’est le glas qui sonne le mariage, tandis que le carillon salue le convoi funèbre. Est-ce bien une distraction, ou s’est-il trompé à dessein ? « N’est-ce qu’un fou ? serait-ce un sage ? » On s’adresse continuellement cette question en parcourant ces poétiques imbroglios, et trop souvent on s’aperçoit que le sage, à force d’emprunter un costume qui n’est pas le sien, finit par être pris au piège. Amour, poésie, humanité, pensées de la vie et de la mort, c’est l’espiègle insensé qui folâtre avec ces grands sujets, et ce jeu prolongé cause une sorte d’impatience. Il est temps que le poète renonce à cette forme du sonnet, où sa pensée étranglée perd son vrai caractère ; en retrouvant ses libres allures, elle y gagnera aussi un plus juste sentiment de la destinée humaine. Bien des pages de ce livre sentent la mort ; c’est la vie que le poète doit chanter, la vie d’ici-bas avec ses fécondes épreuves, la vie supérieure avec ses promesses immortelles ! Et je ne demande pas à M. Soulary des efforts que ne lui permettrait point son talent ; il n’a qu’à se souvenir de la jolie pièce intitulée l’Escarpolette. Un jour qu’il avait renoncé au sonnet pour écrire une sorte de poème, son inspiration s’est déployée en même temps que son vers, et il a composé un tableau où l’intérêt des détails ne nuit pas à la précision du dessin, ni la naïveté du poète à la finesse de l’observateur. Qu’il se souvienne aussi de ces gracieuses pages consacrées aux choses les plus simples et les plus naturelles, qu’il s’inspire souvent des sentimens purs, comme dans les Deux Cortèges. En regard du charmant assassin qu’il nous peignait tout à l’heure, je veux placer, pour l’encouragement du poète, ce symbole de l’amour le plus suave consolant la plus cruelle douleur et triomphant, ne fût-ce qu’une minute, de la puissance même de la mort.

Deux cortèges se sont rencontrés à l’église.
L’un est morne, il conduit la bière d’un enfant.
Une femme le suit, presque folle, étouffant
Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise.

L’autre, c’est un baptême. Au bras qui le défend
Un nourrisson gazouille une note indécise ;
Sa mère, lui tendant le doux sein qu’elle épuise,
L’embrasse tout entier d’un regard triomphant !

On baptise, on absout, et le temple se vide.
Les deux femmes alors, se croisant sous l’abside,
Échangent un coup d’œil aussitôt détourné,

Et, merveilleux retour qu’inspire la prière,
La jeune mère pleure en regardant la bière,
La femme qui pleurait sourit au nouveau-né !

Quand on sait rendre aussi délicatement ces harmonies des choses qui sont le véritable domaine de la poésie, est-il donc nécessaire.