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qui l’a frappé ! L’auteur a beau nous donner ses médailles pour des fantaisies de hasard, on les dirait cuites et recuites au feu d’une passion concentrée. Un point incontestable, c’est que ce bizarre chanteur est surtout un lapidaire. Il prend un caillou, le taille, le fouille, y cherche l’étincelle cachée ; il la trouve quelquefois, et alors nous avons un diamant de plus dans l’écrin des muses françaises. Souvent aussi le caillou mal dégrossi reste caillou comme devant, la pierre ébrèche la lime, et il ne nous reste entre les mains qu’un sonnet rocailleux. Un sonnet ! oui, cette forme curieuse, bizarre, ce jouet charmant, mais qui n’est qu’un jouet, est le mode préféré, que dis-je ? le mode unique des inspirations de M. Soulary. Benvenuto de la rime, il cisèle ses petites coupes dans le bois ou dans la pierre avec une dextérité merveilleuse. Voulez-vous une larme de la rosée du matin dans la coque de noix de Titania ? Aimez-vous mieux une goutte de fine essence, le philtre de l’ivresse, le breuvage de l’oubli, ou bien un peu de ce poison que distillent les joies d’ici-bas ? Voici des aiguières de tout prix ; celles-ci sont faites avec les pierres dures que taillent si patiemment les mosaïstes de Florence, celles-là sont de chêne ou d’érable. Voulez-vous des médaillons de jeunes filles, tout un musée de figures, de figurines, de silhouettes ? Le magasin de l’orfèvre est richement pourvu.

Mais quoi ! toujours de l’orfèvrerie ! toujours la poésie qui brille au lieu de la poésie qui chante ! Cette dernière pourtant, c’est la vraie. Oh ! qu’une phrase musicale, qu’un air de flûte ou de hautbois serait doux à entendre au milieu de ce tintement des métaux ! Quand l’ouvrier, son outil à la main, est enchaîné à son œuvre dans l’atelier sombre, il rêve parfois à l’oiseau qui vole, au nuage qui passe, et il s’écrie tout bas : Des ailes ! des ailes ! Je ne demande pas mieux que la muse ailée vienne parfois s’asseoir dans l’humble salle et prenne aussi plaisir à la rude besogne, la lime ou la pince à la main. Ces échanges ne sont pas sans grâce. Faut-il pourtant que la messagère s’oublie à jamais dans ces travaux d’ordre inférieur ? Elle cesse alors d’être la muse, la consolatrice, et volontiers nous lui dirions ; Envole-toi de nouveau dans les hauteurs, envole-toi et chante, ton chant lointain nous touche plus que le bruit de ton outil mêlé à notre besogne quotidienne. Il y a pourtant des idées, des sentimens, une philosophie, si l’on veut, dans cette multitude de strophes où le poète oublie de chanter ; cette philosophie, j’essaierai de la découvrir.

Parmi les images sans nombre que le poète évoque en courant et qui s’évanouissent aussitôt qu’apparues, au milieu de ces petites scènes aussi vives, aussi brillantes, aussi fugitives que l’étincelle, deux sujets principaux reviennent sous les formes les plus diverses : l’amour et la mort, — l’amour sensuel, la mort lugubre, — l’amour