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l’état, la patrie, la religion. » Il aima mieux écrire ce distique, à la joie des raffinés de son temps :

Rem, regem, regimen, regionem, religionem
Restauravorimus, religionicolæ.

Eh bien ! la langue française elle-même, la langue naïve de Marot, la langue enrichie par Ronsard et si fière de ses conquêtes, eut le malheur de lutter victorieusement avec les merveilles de la syllabe latine. Etienne Pasquier remplit de ces jeux, comme il les appelle, trois chapitres de ses Recherches sur la France, et il a beau dire : « Qui moins en fait, mieux il fait ; » on voit qu’il ne regrette pas d’avoir prouvé par tant d’exemples la docilité de notre idiome. Vous souriez ; quel rapport, dites-vous, entre ce pédantisme et nos élégances ? Je réponds : Prenez garde ! la forme seule diffère ; le vice est le même au fond. Le XVIe siècle, époque d’érudition farouche, a vu sa poésie disparaître dans les subtilités pédantesques ; au XIXe, après la rénovation de l’idiome lyrique, la poésie périrait par le raffinement de l’art, si elle s’enfermait dans vos prétentieux cénacles. L’école dévoyée de M. Victor Hugo, comme l’école déchue de Ronsard, aboutirait au même néant. Sous une forme ou une autre, ce serait toujours la parole étouffant la pensée. Non, certes, je ne fais pas un rapprochement forcé en rappelant cette décadence du XVIe siècle à nos stylistes contemporains ; les preuves ne me manqueraient pas, si j’avais le temps de m’y arrêter. Le bon Pasquier ne nous parle-t-il pas de la taille de rime à queue simple et de la taille de rime à double queue ?

Parmi ces tailleurs de rime à double queue, je ne voudrais pas ranger M. Joséphin Soulary, bien qu’il s’entende mieux que personne au cliquetis des mots sonores, ou du moins, si je le rapproche un instant des ciseleurs qui ne sont pas autre chose, c’est afin de montrer aussitôt combien il s’éloigne de ce fâcheux voisinage : nouveau symptôme, d’où je conclus que l’école de l’art pour l’art ne suffit décidément plus à quiconque porte en soi une étincelle de poésie. L’étincelle ; voyez-la pétiller chez l’auteur des Paysages et des Figurines. Nous cherchons du nouveau, en voici : l’inspiration générale, les sujets, la mise en œuvre, tout ici est inattendu. Nous n’avons pas affaire à un imitateur de Lamartine ou de Victor Hugo ; rien ne le rattache non plus à l’école gauloise de Béranger, à l’école aristocratique d’Alfred de Vigny, à l’école humaine de Barbier ou de Brizeux. Le seul des maîtres chanteurs de nos jours avec lequel on puisse lui découvrir certaines affinités, c’est l’auteur de Rolla ; mais que de métamorphoses ils ont subies, ces emprunts involontaires ! Comme l’alliage, s’il y en a eu d’abord, s’est durci en se réduisant ! Comme le métal aux lignes anguleuses porte bien l’effigie de celui