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tera-t-il fidèle aux aspirations libérales par lesquelles il s’est révélé au monde, et s’il lui est refusé d’atteindre le but qu’il avait rêvé, le verra-t-on du moins résister aux séductions, éviter les embûches, triompher de l’indifférence et du matérialisme ? Il est difficile d’écarter ces questions quand on s’intéresse aux destinées de notre siècle, quand l’on songe surtout à la crise morale dont nous sommes les témoins. D’Alembert écrivait ces singulières paroles à la première page de ses Élémens de Philosophie : « Il semble que, depuis environ trois cents ans, la nature ait destiné le milieu de chaque siècle à être l’époque d’une révolution dans l’esprit humain. » Commentant cette pensée, il citait les révolutions qui, vers le milieu de trois siècles consécutifs, étaient venues précipiter la France en des voies toutes nouvelles : au XVIe les guerres de religion, conséquences d’un mouvement d’idées qui rejetait dans l’ombre les paisibles travaux de la période antérieure ; au XVIIe, la philosophie de Descartes, qui avait renouvelé tous les domaines de l’intelligence ; au XVIIIe enfin, cette ardeur de réformes si rapidement, si universellement répandue vers 1750, « révolution, ajoutait-il, dont notre postérité connaîtra mieux que nous les inconvéniens et les avantages. » Si d’Alembert revenait aujourd’hui parmi nous, il dirait sans doute que le milieu du XIXe siècle a confirmé sa remarque par un nouvel exemple, et, appliquant à notre époque ce qu’il affirmait de la sienne, il écrirait encore ces mots : « Pour peu que l’on considère avec des yeux attentifs le milieu du siècle où nous vivons, les événemens qui nous occupent, ou du moins qui nous agitent, nos mœurs, nos ouvrages, et jusqu’à nos entretiens, on aperçoit sans peine qu’il s’est fait à plusieurs égards un changement bien remarquable dans nos idées, changement qui par sa rapidité semble nous en promettre un plus grand encore. » Pour moi, bien loin d’apercevoir ici une révolution, je crois être d’accord avec les esprits les plus élevés de notre temps en n’y voyant qu’une crise, une épreuve, c’est-à-dire une de ces occasions favorables ou funestes suivait l’usage qu’on sait en faire. Le XIXe siècle, avec ses aspirations et les principes qui lui donnent une physionomie à part, est trop jeune encore pour que ses destinées soient finies. Il ne paraît pas disposé à s’abandonner lui-même. Il suffit par exemple de voir avec quelle vigilance la philosophie spiritualiste précise ses études et agrandit son domaine pour être rassuré sur l’avenir de cette noble cause. Un danger si bien compris est plus qu’à demi écarté.

Mais au milieu de préoccupations si graves n’y a-t-il pas toute une part de notre activité littéraire qui semble condamnée à languir ? Deux choses principalement ont marqué d’un signe glorieux l’avènement du XIXe siècle : d’un côté, la grande critique appliquée aux faits et aux idées, c’est-à-dire l’histoire et la philosophie ; de