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remontait aux Énée et aux Jules. De là vient que sa fille, la vierge du Christ, Eustochium, s’appelle aussi Julia. Cela est grand sans doute, mais plus grand à dédaigner qu’à porter… »

Jérôme suit Paula dans toutes les phases de sa vie : son mariage, sa viduité, sa consécration à l’état religieux, ses douleurs de famille et la persécution de ses proches ; puis il raconte son départ de Rome, leur commun voyage en terre sainte, leur visite aux solitudes de Nitrie, leur séjour à Bethléem. C’est le fil de vingt années passées l’un près de l’autre qu’il se plaît à dérouler devant cette amie absente. Il n’oublie rien : Paula revit dans son récit ; elle marche, elle parle, on entend les austères leçons que sa bouche adresse à ses nonnes, ses controverses avec des moines hérétiques, et jusqu’aux douces saillies de cet esprit sans fiel. Le deuil des enfans, les langueurs de la maladie, les derniers combats de la mort, tout est rappelé, tout est décrit avec larmes. Souvenirs sacrés d’un ami, destinés à réveiller ceux d’une fille et à se confondre avec eux ! C’est en lisant ces suprêmes confidences de l’ami à la fille, en face de la mort et sous les yeux de Dieu, que tout doute s’effacerait au besoin sur la sainteté de leur affection. L’ouvrage porte d’ailleurs l’empreinte de ce qu’il devait être et de ce qu’il est réellement. « Sur l’on désir, dit-il à Eustochium, j’ai dicté ce livre en deux veilles de nuit, car je n’ai jamais pu l’écrire ;… la pointe de mon style glissait sur la cire, et la vie me quittait. Tu ne trouveras donc ici qu’un discours inculte, sans élégance, sans choix d’expression, mais tu y trouveras la pensée et le cœur de celui qui l’a fait…

« Jésus m’est témoin, ajoute Jérôme en terminant, que Paula n’a pas laissé à sa fille un écu, mais qu’elle lui a laissé beaucoup de dettes, et, ce qui est plus lourd que des dettes, un peuple de frères et de sœurs qu’il est bien difficile de nourrir, qu’il serait impie de renvoyer. Est-il un spectacle de vertu comparable à celui-ci ? Une femme de la plus noble famille, de la plus grande opulence, tellement dépouillée par sa foi qu’elle meurt dans un degré de misère extrême ! Que d’autres se vantent de l’argent et du bronze qu’ils accumulent dans le trésor de Dieu, qu’ils étalent aux voûtes des églises leurs dons votifs pendant à des chaînes d’or : personne n’a plus donné aux pauvres que celle qui ne s’est rien réservé. Sois tranquille, Eustochium ; te voilà riche d’un grand héritage, le Seigneur est ton lot, et, pour compléter ton opulence, ta mère vient d’être couronnée par un long martyre, car ne crois pas que l’effusion du sang soit le seul caractère de la confession : on confesse aussi le Seigneur par la servitude immaculée de son âme, par le martyre quotidien du dévouement. Si la confession sanglante a sa couronne tressée de roses et de violettes, le lis est pour la confession du cœur. Les deux couronnes, celle de la paix et celle du