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des exagérations et des malheurs dont il avait été victime. De son mariage avec une riche patricienne nommée Albine, il lui était venu deux enfans, un fils puîné, appelé comme lui Publicola, et une fille à qui on avait donné le nom de son aïeule, et qui porte dans l’histoire celui de Mélanie-la-Jeune. L’opposition des caractères et du genre de vie n’avait point empêché qu’une correspondance respectueuse, assez suivie, n’existât entre Publicola et sa mère, et de la solitude du mont des Oliviers celle-ci dirigeait l’éducation chrétienne de sa petite-fille, dont elle domina peu à peu l’esprit et la volonté. Les qualités viriles qui distinguaient cette femme, son détachement de tout, son fanatisme, que ne déparaient point l’étrangeté de ses aventures dans tout l’Orient et sa vie monacale en Judée, avaient jeté sur elle un grand éclat, au moins dans la société chrétienne d’Occident. Vue de loin, Mélanie se dessinait comme un personnage idéal en dehors de toute comparaison au sein de la chrétienté. Ce sentiment d’admiration s’enracina de bonne heure chez la jeune Mélanie, qui se fit de son aïeule une sorte d’idole, malgré la dissemblance de leurs cœurs.

Arrivée à l’âge de treize ans, Publicola voulut la marier ; elle s’y refusa d’abord, encouragée par les exhortations de sa grand’mère, et prise, assurait-elle, d’un profond dégoût pour le mariage : ce dégoût ne persista pas quand elle eut connu son fiancé, et la grand-mère fut vaincue ; Le mari que Publicola offrait à sa fille était un jeune homme de dix-sept ans, fils d’un ancien préfet d’Afrique, et réunissant en lui toutes les conditions d’esprit, de fortune et de rang qui créent une grande position dans le monde : il se nommait Pinianus. Mélanie l’aima, et ils se marièrent ; mais leur union fut stérile. Au milieu de leur bonheur, qui ne connaissait que ce seul nuage, l’épouse se sentait tourmentée d’un désir indéfinissable de la vie solitaire ; elle en fit la confidence à son aïeule, qui ne manqua pas d’y reconnaître une vocation d’en haut et de l’exhorter à se séparer en amenant son mari à une résolution pareille. L’idée de se quitter cependant n’effraya pas moins l’un que l’autre. Publicola aussi, Albine, toute la famille, jetèrent les hauts cris au seul mot de séparation, déclarant qu’ils n’y consentiraient jamais, et qu’ils useraient de leur autorité domestique plutôt que de laisser rompre, pour un motif quelconque, une union si bien assortie. A côté de la séparation effective et réelle exigée par l’état monastique, il y avait une séparation fictive que comportaient les mœurs chrétiennes, et qui consistait à dissoudre le mariage sous le toit conjugal. Deux époux, en se liant par le vœu mutuel de continence, pouvaient changer en association fraternelle le lien que la loi romaine avait si admirablement défini « une communauté de la vie entière, une communication du droit divin et humain, à l’intention de créer une