Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne suivrai pas l’écrivain dans les explications idéologiques qui forment le fond du débat : elles ne sont pas le but de cette étude ; je m’attacherai seulement aux passages qui peuvent peindre le caractère des hommes, et les mœurs de l’époque. Jérôme parle sobrement et dignement de son séjour à Rome ; il évite, malgré la provocation du libelle, toute allusion à Paula, et se représente environné, à son départ, des chrétiens, — prêtres, moines ou laïques, — les plus recommandables et les plus saints de l’église romaine. A propos de la falsification d’un texte d’Athanase au concile de 382, il éprouve une juste indignation, et renvoie aux baladins et aux mimes les coups de théâtre bouffons qu’on ose ainsi mêler à la gravité des questions de dogmes. Il s’arrête plus longtemps à cette aventure de Chalcide dont l’hypocrite Rufin faisait tant d’éclat. « Voilà assurément, lui dit-il, un genre d’attaques dont la glorieuse invention t’appartient : c’est de m’objecter un songe. Tu m’aimes à ce point de t’inquiéter de mes rêves !… Il faut prendre garde néanmoins, car la voix des prophètes nous prévient de ne point ajouter foi aux songes. Il ne faut pas se croire voué au feu éternel parce qu’on a rêvé d’adultère, et s’il nous arrive de rêver de martyre, il ne faut pas croire pour cela avoir gagné la couronne du ciel. » On verra tout à l’heure à quoi Jérôme fait allusion. « Oui, poursuit-il sur le même ton, je rêve souvent, je le confesse. Combien de fois n’ai-je pas cru me voir mort et étendu dans le sépulcre ! combien de fois ne m’a-t-il pas semblé voler au-dessus de la terre et franchir les montagnes et les mers dans une natation aérienne ! Suis-je donc obligé pour cela de ne plus vivre, et devra-t-on, à ta réquisition, m’implanter des plumes aux épaules et aux flancs, parce que mon esprit, comme celui de tous les mortels, s’est laissé abuser en de vaines images ? Combien de gens, riches en songe, se trouvent mendians quand ils ont ouvert les yeux ! A-t-on soif en dormant, on boit des fleuves entiers, et on se réveille la gorge sèche et haletante. Telle est la condition de tout le monde, telle est aussi la mienne, et je demande de n’être pas comptable des promesses que j’ai pu faire dans mes rêves, — Mais parlons un peu plus sérieusement, et, revenant à la réalité, occupons-nous de ce qui doit se faire dans la veille. As-tu fait, toi, tout ce que tu as promis à ton baptême ? Oui, nous deux qui portons le nom vénérable de moine, avons-nous toujours rempli les devoirs qu’il impose ? Avons-nous bien examiné si notre œil, ingénieux à trouver le fétu dans l’œil du voisin, ne cacherait pas lui-même la poutre ? Je le dis avec une sincère douleur, cela n’est pas bien, cela est contraire à la loi de Dieu, d’appeler un homme son ami, de l’accabler de louanges, et d’aller le poursuivre ensuite, non-seulement dans la vie réelle, mais jusque dans ses