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licon et la couronne d’Orient à son pupille Arcadius, les Huns s’étaient jetés sur l’Asie, dont la trahison leur avait ouvert les portes, tandis qu’Alaric et les bandes visigothes prenaient possession de la Grèce. Une fois introduits dans ces provinces orientales, si molles et si peu défendues, « les loups du Caucase, » comme on les appelait, éparpillèrent leurs escadrons, rapides, et partout le pillage, l’incendie, le viol, le meurtre, se répandirent avec eux. La Galatie, la Phrygie, l’Asie-Mineure, la Syrie enfin, furent mises à feu et à sang ; les villes de l’Oronte tombèrent l’une après l’autre sous les coups de ces brigands sauvages, et, comme on leur avait dit que Jérusalem renfermait des trésors immenses envoyés de toutes les parties du monde par la dévotion chrétienne, ils avaient pris pour mot de ralliement Jérusalem. « Que le Seigneur Jésus nous sauve ! écrivait Jérôme à ses amis d’Occident. Qu’il daigne éloigner de l’univers romain ces bêtes dévorantes, portées sur des chevaux ailés, dont la vitesse dépasse le vol même de la renommée ! Ni la religion, ni la dignité, ni l’âge ne trouvent merci devant eux ; le vagissement de l’enfant nouveau-né ne les désarme pas y et ils forcent à mourir celui-là même qui n’a pas commencé de vivre. — On se hâte, mais bien tard, de réparer les murs de Jérusalem, que l’incurie de la paix laissait tomber en ruines… Que de monastères saccagés, de fleuves rougis de sang, de populations prisonnières, emmenées sous le fouet, comme du bétail ! La Phénicie, l’Arabie, la Palestine, l’Égypte, se croient déjà captives, et Tyr, s’isolant de la terre par un fossé, cherche à redevenir une île comme autrefois. »

Je laisse à penser l’agitation qui de proche en proche se fit sentir dans tous les monastères de la Palestine. Jérôme avait à répondre d’un dépôt sacré, les trois couvens de Paula menacés d’outrages et de ruine par d’affreux barbares. Sans perdre un moment, il courut sur la côte de la Méditerranée se procurer à tout prix un nombre de navires suffisant pour recevoir cette population tremblante et celle de ses propres moines. Il voulait les mettre à l’abri dans les îles voisines de la Syrie, probablement à Chypre, sous la protection de son ami, l’évêque de Salamine. Quand tout fut prêt, il rassembla son troupeau et vint s’établir, dans une sorte de campement, sur le rivage, prêt à s’embarquer à la première apparition de l’ennemi. Pour comble d’inquiétude, la mer devint mauvaise et le vent violent. « Toutefois, nous dit-il, je craignais moins le naufrage que les barbares, et, dans les barbares, notre perte à tous que le déshonneur de nos vierges. » L’ennemi ne parut pas ; soit crainte, soit caprice, il changea tout à coup de direction : les escadrons ailés retournèrent sur leurs pas avant d’avoir franchi le Liban. Jérôme et Paula reprirent alors le chemin de Bethléem, mais