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on s’attaquait à Paula, affectant même pour elle une pitié menteuse, afin de mieux faire ressortir le caractère impérieux de Jérôme. Nous retrouvons l’écho de ces dénigremens dans un livre de Palladius, évêque d’Hélénopolis, qui avait été quelque temps hôte du couvent de la Crèche. Ce n’est pas tout. Rufin et Jean de Jérusalem allèrent jusqu’à corrompre les serviteurs du monastère pour épier Jérôme, connaître ses lettres polémiques et savoir à quoi il travaillait. Un jour on lui déroba la traduction d’une lettre d’Épiphane contre le même Jean de Jérusalem, traduction qu’il faisait pour un de ses moines qui ne savait pas le grec, Eusèbe, avocat de Crémone, à qui échut l’insigne honneur de lui succéder à Bethléem. Un frère attaché à la personne d’Eusèbe en qualité de domestique ayant disparu tout à coup avec le manuscrit de Jérôme et tout l’argent de son maître, la traduction se trouva quelques semaines après en la possession de Rufin. Quelquefois une main inconnue glissait dans la chambre des hôtes tantôt un livre dirigé contre Jérôme, tantôt un ouvrage hérétique, pour faire croire qu’on professait aux couvens de la Crèche des doctrines contraires à l’église. Telles étaient les embûches au milieu desquelles il leur fallait vivre.

Cette sorte de crise passée, les solitaires reprirent leur train de vie habituel, cumulant la direction de leurs maisons avec les devoirs de l’hospitalité vis-à-vis des étrangers et l’étude des saintes Écritures. Les dernières persécutions avaient eu pour effet de briser complètement chez Paula les attaches qui la retenaient au monde. Ses austérités dépassaient la mesure de ses forces. Jérôme la grondait de coucher sur la terre nue, sans autre matelas qu’un cilice, et d’user ses yeux à force de veilles, où le matin la surprenait priant. En la voyant pâle et défaite, il lui disait : « Gardez vos yeux, vous en avez besoin pour lire les Écritures. — Ah ! répondait-elle, ces yeux ont trop recherché le monde, je les ai peints trop souvent ; j’ai trop souvent fardé mon visage et amolli mon corps dans les délices, pour que le moment ne soit pas venu de les punir. J’ai trop voulu plaire ici-bas ; puissé-je enfin plaire à Dieu ! » Excessive en tout, elle semait autour d’elle l’argent sans compter, malgré la diminution graduelle de ses revenus et la charge croissante des monastères. Jérôme cherchait à la modérer dans ses aumônes inconsidérées ; mais quoiqu’elle lui portât, avec une admiration sans bornes, l’obéissance d’une fille soumise, elle lui résistait dans ces matières, emportée par l’élan de sa charité. Elle avait aussi vers le mysticisme un penchant que l’austère et âpre raison de son ami tâchait de gouverner, sinon de détruire, et il ne manqua pas de gens qui lui en firent un crime. Cet hôte de Bethléem dont je parlais tout à l’heure, Palladius, origéniste, ami de Rufin et de