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impose silence d’une voix si haute à un mari faible d’esprit et de caractère, et le conduit en quelque façon par l’oreille, d’où vient-elle ? De la scène française en droite ligne : c’est Beline du Malade imaginaire, c’est Philaminte des Femmes savantes. Quant à ce type de jeune fille qui n’offre pas seulement le charme de la primevère gracieuse, mais qui montre encore l’habitude de la réflexion et un tempérament moral et intellectuel solidement affermi, il est impossible de s’y méprendre : il est, comme celui de cette suivante pleine d’entrain et de gaîté que le théâtre français doit transformer plus tard en soubrette, la fille légitime de Molière. Voilà pour les profils comiques et pour la peinture générale des caractères. Qu’on saisisse maintenant au hasard un individu parmi cette foule de personnages burlesques, de gens atteints de monomanie ou d’une espèce de sottise incurable qui s’agitent dans les pièces d’Holberg, on aura Vadius, Purgon, M. de Pourceaugnac, et tous ces types empreints à dessein d’un peu de fantaisie et d’invraisemblance, afin de porter au comble chez le spectateur le délire de l’hilarité. Le précepteur pédant de la Chambre de Noël, le magister Rosiflengius de l’Heureux naufrage, les philosophes comiques du Voyage de Sganarelle au pays de la philosophie, on en trouve sans peine les modèles chez le poète français. Et la manie judiciaire des gens de loi et des médecins, dont toute la science et le prestige résident dans la robe noire et le bonnet pointu, c’est encore un emprunt fait à Molière. Deux pièces, le Onze juin et le petit Paysan en gage, ne sont, d’après M. Legrelle, que la reproduction des mésaventures de M. de Pourceaugnac.

Non-seulement les personnages sont communs aux deux auteurs, mais le plan et l’ordonnance du drame présentent aussi d’étroites ressemblances. Chez l’un et chez l’autre, le héros comique est le centre vers lequel tout converge, et l’attention du spectateur se trouve concentrée sur le développement d’un vice, d’un travers ou d’un ridicule. Qu’est-ce que le Ferblantier politique, la première pièce par laquelle Holberg inaugura en 1722 le théâtre national du Danemark ? C’est une satire, exagérée peut-être, de la manie de faire de la politique sans rime ni raison. Qu’est-ce que la Poudre arabique ? La peinture amusante d’un mari dont toutes les ressources s’en vont en vaine fumée. Le type du soldat fanfaron de Plaute se retrouve dans Jacob de Tyboe et dans Diderich la Terreur de l’humanité. Dans la Sorcellerie et dans le Spectre de la maison, le poète danois bat en brèche la superstition. Dans Don Ranudo de Colibrados, il drape l’orgueil nobiliaire, comme il se moque ailleurs du ridicule de la rusticité.

A côté de ces pièces de caractère, Holberg en a écrit d’autres, qui sont de pures comédies d’intrigue offrant l’attrait de l’à-propos, et où il saisit les ridicules à la mode et les engouemens du jour, car si cet écrivain procède de Molière dans les principaux sillons de sa veine dramatique et dans la peinture des caractères, il a puisé à d’autres sources secondaires, chez Destouches, Dancourt, Gresset, Dufresny, l’art de démêler adroitement les imbroglios compliqués et l’habitude de faire apparaître le chevalier d’industrie, en diminuant au profit de l’intrigue l’intérêt psychologique du drame et en répandant sur le tout une nuance de comique anodin et un peu convenu. Ulysse d’Ithaque, une de ces pièces d’actualité, est une parodie littéraire où le poète met en relief dans un curieux pêle-mêle tout le