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nouvelles dans les champs pétrifiés des anciens mondes. La vie est une. école : c’est à l’enseignement austère des faits, au frottement des hommes les uns contre les autres, aux dures leçons de l’adversité, bien plus encore qu’à la lecture des meilleurs ouvrages et à l’éducation des écoles, que l’auteur de Self-Help attribue l’essor du génie individuel. Nul ne peut aider celui qui ne s’aide point lui-même. Pour quiconque au contraire se cherche et s’appuie sur ses propres forces, la moindre circonstance peut faire jaillir l’étincelle qui est la révélation du talent. « Un baiser de ma mère fit de moi un peintre, » disait West.

Une grande sagesse qu’on pourrait appeler la splendeur du bon sens, comme Platon définissait le beau la splendeur du vrai, tel est le caractère qui distingue surtout Self-Help. Ce livre, si populaire chez nos voisins, répond admirablement aux idées de la famille anglo-saxonne. Recevra-t-il chez nous le même accueil ? Je l’espère, mais il aura aussi, je le crains, plus d’un vieux préjugé à combattre. En France, n’a-t-on point trop compté sur les institutions politiques malgré la durée éphémère des gouvernemens ? L’état peut faire du premier venu un ministre : il ne saurait en faire un grand homme, ni même un fonctionnaire intègre et capable. Il est donc bon de chercher à d’autres sources ces énergies morales qui développent et régénèrent les sociétés. La traduction de M. Talandier est à la fois fidèle, nerveuse et élégante ; elle contribuera, je n’en doute point, à propager en France les saines idées de M. Smiles.


ALPHONSE ESQUIROS.



HOLBERG CONSIDÉRÉ COMME IMITATEUR DE MOLIÈRE.


Le nom du poète Holberg[1], qui créa au XVIIIe siècle le théâtre national danois, n’a guère été prononcé en France que depuis la révolution. Quant aux pièces de son répertoire, nul n’a songé jusqu’ici à les faire passer dans notre langue. Si l’on excepte une ingénieuse étude de M. Ampère[2], on ne trouve plus chez nous que de rapides notices et de courts fragmens de traductions, quand on veut se faire quelque idée d’un écrivain qui règne encore sur toutes les scènes, non-seulement des pays de langue danoise, mais d’un bout à l’autre de l’Allemagne, de Hambourg à Vienne. C’est là un exemple et aussi un fâcheux effet de cette indifférence avec laquelle le Français, dédaigneux des œuvres des autres peuples, a vécu longtemps enfermé dans sa propre littérature. Aujourd’hui même sommes-nous sûrs d’avoir bien secoué cet égoïsme et cet isolement littéraires ? Ce courant intellectuel qui, au XVIIe et au XVIIIe siècle, a filtré de la France sur les divers pays de l’Europe, savons-nous ce qu’il a produit autour de nous, et quels sédimens il a déposés sur sa route ? Que l’on suive par exemple le génie comique de Molière dans son rôle et son influence à l’étranger. Quelle suite glorieuse de conquêtes et d’envahissemens ! A peine émigré en Angle-

  1. Né à Bergen, en Norvège, en 1684, mort à Copenhague en 1754.
  2. Voyez la Revue du 1er juillet 1832.