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homme porte en lui-même son étoile, dont il dirige l’influence secrète par les artifices de la patience. Le feu sacré appartient à ceux qui savent rallumer. Cette thèse est soutenue avec vigueur et avec habileté. M. Smiles invoque le témoignage des artistes eux-mêmes, raconte leurs pénibles débuts, les suit pas à pas de l’atelier sur le théâtre de la vie publique, et arrache aux faits cette triomphante vérité : le génie est une création de la volonté. On peut bien faire à une telle théorie quelques objections : n’est-ce point au contraire une faculté très forte incarnée dans certains hommes qui développe chez eux les ressources du caractère, tend les nerfs de la vigueur morale et les arme d’une résolution bien trempée qui résiste à tous les obstacles ? Quoi qu’il en soit, il est bon de rappeler aux artistes que sans cette application, qui est à la fois la conscience et la dignité du talent, les plus heureux dons de la nature avortent dans la fleur. Le succès appartient aux forts ; mais, suivant M. Smiles, la force morale est elle-même une faculté acquise qui s’accroît par l’exercice. Virgile n’a point cueilli sans peine le rameau d’or. Même dans le domaine de la poésie, les rêves et les chimères ne profitent qu’à ceux qui savent les dompter. La morale de ce livre est sévère ; à tout jeune homme qui se plaint de la destinée, des injustices du hasard, du goût blasé de son siècle, l’auteur répond : « Travaille, lutte, persiste, ne compte que sur toi-même ; il te faut passer par des sentiers étroits où d’autres se sont déchirés aux broussailles, mais pour en sortir meurtris et vainqueurs. »

A plus forte raison en est-il ainsi dans l’industrie et le commerce. M. Smiles croit d’ailleurs que les lois de l’intelligence sont les mêmes, pour toutes les professions. Peu importe l’objet auquel l’homme s’applique, pourvu qu’il s’y dévoue avec toutes les mâles énergies de son caractère. Selon lui, « c’est une double erreur, qui de tout temps a été chère aux niais, que les hommes de génie sont impropres aux affaires, et que le maniement des affaires rend les hommes impropres aux travaux qui exigent du génie. » A l’appui de son opinion, il invoque des noms et des exemples célèbres. Milton, qui commença par être maître d’école, fut élevé sous la république au poste de secrétaire du conseil d’état, et le livre des ordres du jour du conseil, qui existe encore, fait le plus grand honneur à son exactitude d’esprit. Shakspeare avait géré avec habileté les affaires de son théâtre et réalisé une somme assez ronde lorsqu’il se retira pour vivre de ses rentes dans sa ville natale de Stratford-sur-Avon. Walter Scott commença par être copiste dans une étude d’avoué où il gagnait six sous par page, et à cette discipline sévère il attribuait plus tard l’habitude du travail et de l’application, source de ses plus heureux succès littéraires. Plus tard il eut à remplir les fonctions de greffier de la cour des sessions à Edimbourg. John Stuart Mill, un des plus grands esprits de l’Angleterre, était il y a peu de temps encore membre du conseil de la compagnie des Indes orientales, et avait établi une excellente organisation dans ses bureaux. M. Samuel Smiles lui-même est secrétaire de la compagnie du chemin de