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ESSAIS ET NOTICES.

SELF-HELP, par SAMUEL SMILES[1].


Au sud de la bruyère de Blackheath (Blackhealh Common) s’élève une villa anglaise, blanche, commode, élégante, entourée de jardins et de feuillages. Cette maison, tout récemment construite, a été bâtie avec un livre. Sur la pierre de fondation, il est dit que Samuel Smiles a fait ériger la présente résidence avec les produits de Self-Help. C’est ce livre, si populaire chez nos voisins, que vient de traduire M. Alfred Talandier, professeur au Collège militaire de Sandhurst.

Le succès de l’ouvrage, qui s’est répandu comme par enchantement dans les mains de la jeunesse, dans les bibliothèques des villes et des villages, dans les cottages des ouvriers, est un remarquable indice des tendances du génie anglo-saxon. Le titre à lui seul est à peu près intraduisible : Self-Help (aide-toi toi-même). L’auteur est de ceux qui croient que ni les lois, ni les institutions de l’état, ni les écoles, ni les livres, ne peuvent élever le niveau d’une société sans le concours libre et persévérant des individus. Les gouvernemens n’ont à ses yeux qu’une valeur négative et restrictive ; c’est à l’homme de penser et d’agir par lui-même. Quel pouvoir extérieur changera jamais le paresseux en un ouvrier utile ? Ceux qui tournent leurs regards vers l’état pour lui demander le bien-être, la lumière morale, et en quelque sorte le chemin de l’avenir, invoquent avec une stupide idolâtrie une force qui reçoit au contraire l’impulsion de la souveraineté individuelle. La providence des nations ne réside point dans ceux qui les gouvernent : elle est dans la volonté de chacun. — Ces principes, si justes qu’ils puissent être à un certain point de vue, offrent pourtant un danger : ne conduisent-ils point à l’indifférence en matière politique ? « La manière dont un homme est gouverné, ajoute l’auteur lui-même, peut ne pas avoir une immense importance. » Il se peut aussi qu’elle en ait une très grande. Ce que les penseurs de tous les temps par exemple ont le plus reproché au despotisme, c’est l’abaissement des caractères. Certaines institutions politiques impuissantes à créer ont le triste privilège de détruire, et ce qu’elles détruisent chez l’homme, ce sont précisément ces forces de l’âme, ces ressorts énergiques du moi, ces viriles initiatives du sentiment personnel, que M. Smiles considère avec raison comme les seuls véritables élémens du progrès.

On avait cru jusqu’ici que le génie était un don de la nature, et que le succès dans les beaux-arts, dans la science, dans la littérature, tenait à une disposition innée. M. Smiles aime au contraire à en trouver la source dans les efforts héroïques des individus et dans la puissance du travail. Chaque

  1. Traduit en français par Alfred Talandier. Paria, Henri Pion, rue Garancière, 8.