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pour que les lettres de M. d’Arneth gardent tout leur intérêt, que les lettres publiées en France soient reléguées parmi les plus audacieuses mystifications.

Certes l’érudition allemande est justement renommée pour sa sagacité investigatrice, pour la précision de ses méthodes, et M. de Sybel notamment est un écrivain estimé, quoique très passionné. D’un autre côté, c’est incontestablement le droit, c’est le devoir d’une véritable critique de ne pas laisser s’introduire d’une façon subreptice dans l’histoire des documens de fantaisie. Il faudrait faire attention cependant et ne pas réduire la science à une sorte de procédure méticuleuse, finissant par se perdre dans ses propres minuties, laissant échapper la vérité vraie et frappante pour courir après des détails subalternes et de petits faits compendieusement rapprochés et mis en contradiction. Il y a longtemps qu’on a dit qu’avec trois lignes d’écriture on pouvait faire pendre un homme. Qu’est-ce donc lorsqu’on a toute une correspondance, et qu’il ne s’agit après tout que de demander à cette correspondance des preuves contre elle-même, contre sa propre authenticité ? Il est vrai, rien ne serait plus aisé que de découvrir et de noter dans les lettres de Marie-Antoinette publiées en France des erreurs de date, des variantes de texte qui arrêtent au premier moment, des lacunes, des contradictions. A travers tout, une certaine vérité se fait jour, et au demeurant les démonstrations tentées en Allemagne ne me semblent nullement concluantes. On a voulu trop prouver, et on ne prouve rien ; on amasse simplement de petits nuages d’interprétations ; or il faudrait vraiment arriver un peu mieux muni de preuves, un peu mieux armé, pour dire à des gens sensés : Vous êtes les complices ou les dupes d’une falsification hardie ! Quoi donc ! parce qu’à l’époque de la mort du roi Louis XV l’impératrice, à la date du 30 mai 1774, écrit et se plaint de n’avoir point de nouvelles depuis le 10, qui est le jour du fatal événement, il s’ensuit nécessairement que Marie-Antoinette n’a rien écrit dans cet intervalle, qu’il ne peut exister de lettres, ou que ces lettres que M. d’Arneth n’a point retrouvées, et que publient d’autres collections, sont radicalement fausses ! L’invraisemblance morale serait assurément là, dans cette supposition que la reine n’eût rien écrit dans un pareil moment. Il serait au moins aussi simple de croire tout bonnement qu’à l’heure où elle se plaignait, Marie-Thérèse n’avait effectivement rien reçu, qu’elle a pu avoir des nouvelles plus tard, et que ces lettres ont pu, avec le temps, se trouver ailleurs qu’à Vienne. — Quoi donc encore ! parce que dans les archives de l’archiduchesse Marie-Christine, duchesse de Saxe-Teschen, il ne s’est rencontré aucune correspondance de la reine, il faut en conclure absolument que les lettres de Marie-Antoinette à sa sœur ne peuvent pas, ne doivent pas exister ! Je n’en sais rien ; ce qui est certain, c’est que la correspondance même de Marie-Thérèse fait plus d’une fois allusion aux rapports habituels, intimes, de la reine avec ses sœurs, et que dès lors il n’est certainement pas impossible qu’il en subsiste des témoignages. On pourrait citer