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commune aux collections françaises et à la collection de Vienne. Le livre de M. d’Arneth a donc un intérêt propre et distinct, qu’il tire non-seulement de la correspondance de Marie-Antoinette, mais encore et surtout de celle de l’impératrice, et sous ce rapport il se relie aux travaux dont la grande Marie-Thérèse est aujourd’hui l’objet en Allemagne.

En réalité, c’est un document de plus, un document de la plus sérieuse valeur, où apparaissent ces deux figures de femmes, l’une, toute jeune encore, faisant gaîment, légèrement, son apprentissage de future reine de France, l’autre grave, un peu grondeuse parfois, ayant quelque peine à comprendre cette vie française au sein de laquelle elle voit sa fille emportée, mêlant la politique à la tendresse, l’austérité à une prévoyance affectueuse. Il n’est point douteux que ces lettres nouvelles font pénétrer plus intimement dans un certain ordre de sentimens de Marie-Antoinette et dans ses rapports avec sa mère ; elles montrent surtout d’une façon plus sensible le retentissement qu’avaient à Vienne jusque dans la famille impériale et dans l’âme même de Marie-Thérèse tous ces bruits malveillans, envenimés, qui formaient autour de la reine à Versailles la plus dangereuse atmosphère. L’impératrice, on peut le voir, s’en inquiétait gravement. Elle voulait que la reine vécût avec le roi, qu’elle fît un dauphin, qu’elle tînt ferme pour l’alliance dont elle était l’image. Marie-Thérèse ne badine pas sur ces choses-là et sur tout ce qui trouble son haut sentiment royal ou sa simplicité allemande. Il y a des momens où elle ne tarit pas sur les légèretés de Marie-Antoinette, sur ses promenades à cheval, sur ses toilettes, sur ses familiarités compromettantes, et rien ne serait plus facile que de tirer parti contre la fille des paroles de la mère, de chercher dans les lettres de Marie-Thérèse la confirmation de tous ces bruits dont elles ne sont pourtant qu’un écho. Sous ce rapport, la publication faite à Vienne, en mettant en scène de tels personnages, en précisant certains points, en dévoilant un peu plus certaines particularités intimes, ne ferait, ce semble, qu’ajouter à l’intérêt des autres publications en les complétant ; mais voici bien une autre affaire : autour de cette mémoire douloureuse de la plus aimable des femmes vient de s’engager un de ces combats d’érudits, une de ces contestations bizarres dont je parlais. Le livre de M. d’Arneth a été le prétexte, et, cette collection de Vienne à la main, un des principaux publicistes d’Allemagne, un professeur de l’université de Bonn, M. de Sybel, a ouvert à grand renfort de preuves et d’argumentations toute une campagne pour battre en brèche l’authenticité des collections françaises. Ainsi toutes ces lettres que nous avons lues, où nous avons cru voir l’esprit, le caractère, la perplexité de la brillante et malheureuse reine, ne seraient plus qu’un ramassis de documens apocryphes ! C’est aller, si je ne me trompe, un peu rudement en besogne. Il y a une question de fait sur laquelle les éditeurs français voudront s’expliquer, sans doute ; mais il y a aussi une question morale d’appréciation qui appartient à tout le monde, et dès ce moment il ne me paraît pas absolument nécessaire, je l’avoue,