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Un peu plus tard, c’est dans ce moqueur sentimental que notre ami Montégut étudiait récemment ici avec tant de finesse, c’est dans Sterne que nous surprenons un rayon miroitant du bonheur d’autrefois, qui est le bonheur d’aujourd’hui. « Quel spectacle pour un voyageur, dit Yorick, quand il traverse la Touraine dans le temps des vendanges ! Que ces coteaux si rians et si agréables de la Loire sont différens de ces campagnes sombres que nous traversons en Angleterre ! quel ravissement pour mon cœur quand je faisais ce voyage ! La musique à chaque pas battait la mesure au travail, et les enfans portaient leurs grappes en dansant au pressoir… Mes sensations n’ont jamais été si vives. Les aventures naissaient à toutes les postes où je m’arrêtais. » Quelques années après, un agriculteur savant, Arthur Young, était très éloigné de cet enthousiasme, et se gardait bien d’adresser d’aussi délicieux complimens aux campagnes françaises ; mais qui avait raison, de l’économiste étudiant nos ressources agricoles ou des poètes qui venaient saisir les impressions que la nature pouvait donner aux Français dans les momens d’oubli, de repos et de bonheur ? Assurément les poètes. L’élégant Yorick, dans sa fantaisie rustique, nous fait deviner peut-être quelque chose du plaisir gracieux que dut éprouver Marie-Antoinette en arrangeant Trianon. Goldsmith, le vagabond naïf, se promenant la flûte à la main parmi nos paysans, avait le cœur ému des mêmes sympathies qui faisaient palpiter Manon Phlipon, lorsque, ignorant les sanglans mystères de l’avenir, elle s’embarquait au Pont-Neuf, joyeusement endimanchée, les beaux matins des jours de fête, pour aller sentir vivre dans les bois de Meudon sa fraîche et douce jeunesse.

Il est bien d’autres choses que l’été qui font en ce temps-ci penser au XVIIIe siècle. Nous avons traversé une époque de béate léthargie qui n’est point sans analogie avec l’assoupissement dont la France fut prise durant certaines périodes du règne de Louis XV, par exemple des environs de 1750 aux environs de 1760. La comparaison pourrait s’appuyer sur plus d’un trait philosophique, politique, social ou moral. Pourquoi chercherions-nous les symptômes de ressemblance quand ils se présentent d’eux-mêmes ? N’est-ce point un symptôme de ce genre qui se trahissait l’autre jour dans une bizarre question portée au sénat, que le sénat n’a point dédaigné de discuter, mais dont il a eu l’idée de prévenir par la formule réglementaire du comité secret le retentissement fâcheux ? On a soumis au sénat une question qui jusqu’à présent avait été du ressort exclusif de la comédie hardie, la question du demi-monde. Le rapporteur de la pétition et M. Dupin sont parvenus à rompre la consigne du huis clos et ont publié leurs discours. M. Dupin surtout, ce gaillard octogénaire, a traité cette cause grasse avec une verve réjouissante. Ses considérations, exprimées en paroles énergiques et brèves, ont réuni l’éloge de la tolérance de saint Louis à la réprobation des crinolines et a une éloquente imprécation contre les débordemens du luxe ; mais à quoi peut aboutir cette honnête colère ora-