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sement l’intention de commencer les hostilités, qu’ils n’élevaient si haut la voix que pour effrayer, s’ils le pouvaient, le gouvernement impérial, et que, dans la crainte de se voir réclamer des indemnités pour avoir troublé la paix de l’empire, ils en demandaient eux-mêmes, sachant qu’ils n’y avaient aucun droit, mais espérant que la clémence de l’empereur se prêterait à une sorte de compensation. Quant à l’empereur, les correspondances des mandarins le représentaient comme fort ennuyé du bruit que faisaient les barbares et très désireux d’en finir avec leurs prétentions extravagantes : tout en prescrivant de mettre le pays en bon état de défense, d’anéantir l’ennemi, s’il osait la moindre attaque, il recommandait la conciliation dans les rapports avec les chefs, et il ordonnait de conclure la paix, ce qui voulait dire évidemment qu’il daignait oublier les fautes des Européens, qu’il n’entendait pas les punir de leur désobéissance ni leur réclamer d’indemnité, et qu’il convenait de ménager leur orgueil en accueillant les dispositions dont on l’assurait qu’au fond ils étaient animés. Bref, l’ensemble de ces documens découverts par hasard au milieu des bagages qu’un général tartare, San-ko-lin-sin peut-être, avait oubliés dans la précipitation de sa fuite, montraient une fois de plus à quel degré l’empereur et ses conseils étaient mal informés de ce qui se passait. La prise des forts de Takou, le mouvement des troupes anglo-françaises dans la direction de la capitale, la fuite de l’armée tartare, tout cela, accompli en quelques jours, allait-il enfin éclairer la cour de Pékin et faire tomber les voiles qui lui avaient jusqu’alors caché le véritable état des choses ? Telle était la question qui devait se décider à Tien-tsin. Le baron Gros et lord Elgin étaient bien résolus à ne rien abandonner de leurs prétentions, et les troupes alliées n’attendaient qu’un signe de la diplomatie pour porter les drapeaux de la France et de l’Angleterre sur les murs de Pékin. Ainsi l’occupation de Tien-tsin, succédant à la prise des forts de Takou, marquait dans l’expédition de Chine le commencement d’une nouvelle période, qui sera l’objet d’un prochain récit.


C. LAVOLLEE.