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mais les Tartares et les Chinois étaient complètement démoralisés : les alliés entrèrent sans coup férir dans tous les retranchemens de la rive gauche, pendant que des officiers étaient envoyés en parlementaires pour sommer les forts de la rive gauche de se rendre à discrétion. Le vice-roi, triste témoin de la défaite et de la fuite de cette armée tartare à laquelle le général San-ko-lin-sin avait si souvent promis la victoire, le malheureux Hang hésita plusieurs heures ; il dut pourtant se résigner. Il écrivit aux généraux alliés qu’il cédait toutes les positions du Peï-ho, et Le 23 août il adressa au baron Gros la lettre suivante :


« Comme le 21 de ce mois les forces de terre et de mer de votre noble empire se sont emparées des forts qui servaient à notre défense, elles ont prouvé ainsi leur grande habileté dans l’art de la guerre, et nos troupes ont dû s’avouer vaincues. Aussi cette dépêche est-elle écrite pour faire savoir à votre excellence qu’il est inutile de continuer la guerre, et que, relativement au traité conclu il y a deux ans et aux clauses de l’ultimatum de cette année, de hauts commissaires, munis de pleins pouvoirs, sont déjà partis de Pékin et arriveront certainement aujourd’hui. J’espère que votre excellence voudra bien se mettre en route en passant par Takou. »


Une communication conçue presque dans les mêmes termes parvint à lord Elgin. Ainsi le gouverneur-général s’avouait vaincu. Il rappelait les traités de 1858, il mentionnait l’ultimatum ; il ne parlait plus de la route de Peh-tang, qu’il avait indiquée si obstinément dans ses précédentes dépêches ; il conviait lui-même les alliés à remonter le Peï-ho et à pénétrer par la grande porte sur le sol impérial ; en un mot, il désarmait. Arrivés à Tien-tsin le 25 août, les ambassadeurs allaient enfin quitter le rôle passif qu’ils s’étaient imposé et conférer directement avec les envoyés de Pékin. L’échec éprouvé en 1859 devant Takou était vengé d’une manière éclatante. La victoire du 21 juin avait rétabli le prestige du nom européen. Par ce fait d’armes, le premier but de l’expédition était atteint, et il semblait permis d’espérer que la paix, négociée sous l’impression des derniers événemens, ne tarderait pas à être conclue.

On avait trouvé dans un camp abandonné par les Chinois des liasses d’archives qui contenaient des correspondances de San-ko-lin-sin, du vice-roi Hang et de plusieurs mandarins. Il résultait de ces pièces que le général tartare, enorgueilli par sa victoire de 1859, ne doutait point d’un second triomphe. Il ne croyait pas que les alliés commissent la folie de s’aventurer au-delà du rivage : il pensait qu’ils se borneraient à l’attaque des forts de Takou, et se chargeait de les jeter très aisément à la mer. Les autres mandarins s’imaginaient que les Anglais et les Français n’avaient point sérieu-