Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près le baron Gros, la prise de Chusan par les alliés et le débarquement des troupes à l’entrée du golfe du Pe-tchi-li, c’est-à-dire à quelques journées de marche de Pékin, devaient être considérés comme des actes hostiles, bien qu’il n’eût pas été tiré un seul coup de fusil. L’interprétation de lord Elgin, fort contestable au point de vue du droit des gens, pouvait entraîner de graves conséquences, car si l’on ne se croyait pas en état de guerre, il convenait que les deux ambassadeurs fissent notifier à Pékin leur arrivée, ainsi que l’objet de leur mission, et très certainement le gouvernement chinois aurait profité de cette démarche pour traîner les choses en longueur par de fausses négociations. On aurait perdu un temps précieux pour la campagne. En adoptant l’avis du baron Gros, on ne courait point ce risque. Les alliés, continuant la guerre, devaient s’emparer des forts de Takou et remonter jusqu’à Tien-tsin, où les ambassadeurs, armés du prestige de la victoire, seraient en mesure d’imposer de nouveau au cabinet de Pékin les conditions de la paix. Lord Elgin n’hésita pas à reconnaître qu’il y avait tout avantage à laisser l’action militaire s’exercer jusqu’à ce que les troupes fussent maîtresses de Tien-tsin, et à s’abstenir de transmettre aucune communication diplomatique aux Chinois avant que ce premier acte de l’expédition militaire fût accompli. Les deux ambassadeurs écrivirent dans ce sens aux généraux et aux amiraux. La lettre adressée par le baron Gros au général Montauban ainsi qu’au vice-amiral Charner, à la date du 17 juillet, expose clairement le plan qui fut alors concerté :

« Nous nous sommes entendus, lord Elgin et moi, sur la marche que nous avions à suivre, et nous avons pensé que nous devions nous adresser aux commandans en chef de nos forces respectives, pour les engager à poursuivre activement la mise à exécution des plans qu’ils ont arrêtés de concert, et qui consistent à enlever les forts qui défendent l’embouchure du Peï-ho, à faire disparaître dans la rivière de ce nom les obstacles qui en entravent la navigation jusqu’à Tien-tsin et à s’emparer de cette ville, qui deviendrait une place d’armes communiquant avec la mer, ville où les deux ambassadeurs s’établiraient encore une fois pour y attendre les ouvertures qui pourraient être faites par le gouvernement chinois, ou prendre l’initiative de celles qu’ils croiraient devoir adresser au cabinet de Pékin, sauf plus tard à agir de concert avec les commandans alliés, selon les circonstances qui surgiraient de cet état des choses.

« Nous avons pensé, lord Elgin et moi, que, le gouvernement chinois ayant gardé le silence le plus complet depuis les notes qu’il a passées à M. de Bourboulon et à M. Bruce pour rejeter les demandes de la France et de l’Angleterre, nous devions aussi nous abstenir de toute communication à lui faire jusqu’au moment où le résultat des opérations commencées permettrait aux ambassadeurs de s’établir à Tien-tsin, et aurait prouvé au