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de la Chine dans le sud pendant qu’on allait le combattre dans le nord. Tout est anormal dans ce curieux pays. » C’était en effet une anomalie. M. le baron Gros, avec son expérience des affaires de Chine, pouvait en être peu surpris. Il en avait déjà vu et il devait en voir encore bien d’autres.

Telle était, à la fin de juin 1860, la situation. Lord Elgin et le baron Gros arrivaient d’Europe pour prendre la direction des affaires diplomatiques, et allaient se rendre dans le golfe du Pe-tchi-li, où étaient réunis les escadres et le corps d’armée anglo-français. MM. Bruce et de Bourboulon conservaient leur résidence à Shanghaï, attendant que la route de Pékin leur fût ouverte et protégeant contre les rebelles l’intérêt européen en même temps que l’intérêt chinois. Un faible détachement de troupes alliées occupait l’île de Chusan. La guerre était ainsi déclarée, et la campagne commençait. Hâtons-nous de le dire, cette guerre était à la fois légitime et nécessaire. Aujourd’hui que le droit de la force n’est plus glorifié ni même accepté, et que les puissans comme les faibles comparaissent à titre égal devant l’opinion, c’est un devoir de demander à la guerre qu’elle se justifie. Peut-être le misérable incident qui, à propos de la saisie plus ou moins régulière d’une barque (la lorcha Arrow), motiva les campagnes de 1857 et 1858, n’était-il point de nature à excuser le recours aux armes : ainsi l’avait jugé le parlement anglais ; mais cette fois il s’agissait de riposter à un affront direct et prémédité. Mauvaises raisons, faux prétextes, mensonges, le gouvernement chinois avait tout épuisé. La France et l’Angleterre étaient réellement condamnées à venger l’insulte faite non-seulement à leurs drapeaux, mais encore au droit des gens. Ne point agir ou se contenter d’une demi-satisfaction, qui d’ailleurs ne leur fut pas offerte, c’eût été déserter les intérêts de la civilisation européenne dans l’extrême Orient, et perdre en un seul jour les résultats obtenus après tant d’efforts au profit du monde entier et de la Chine elle-même. La guerre était donc inévitable. Dès qu’elle fut décidée, l’Angleterre et la France s’empressèrent de déclarer tout d’abord et de prouver par leurs premiers actes qu’elle était dirigée uniquement contre le gouvernement et non contre le peuple chinois, et qu’elle devait punir le vrai, le seul coupable, en épargnant les populations innocentes et inoffensives. Bien plus, ces populations, que leur souverain, aussi débile qu’orgueilleux, ne pouvait défendre contre le fléau de la guerre civile, elles s’engagèrent à les protéger à Canton, à Ning-po, à Shang-haï, partout où elles le pouvaient, au même titre que leurs propres nationaux. Guerre au gouvernement, alliance avec le peuple, tel fut leur mot d’ordre. Rappelons enfin que, dès le début des hostilités, l’An-