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si longtemps amis allaient se faire la guerre, et qu’il vaudrait bien mieux s’en tenir à une discussion amicale. On ne pouvait jamais tirer autre chose de ces mandarins, et l’on serait presque disposé à croire qu’ils étaient quelquefois sincères dans leurs protestations pacifiques. Il ne faut pas oublier que les idées d’honneur national, comme les lois du droit des gens, sont en Chine toutes différentes de ce qu’elles sont pour les peuples européens ; il importe également de considérer qu’un Chinois de Canton ne s’imagine avoir aucun lien d’intérêt ni de dignité avec un Chinois de Shang-haï, et que de même un Chinois de Shang-haï ne s’explique pas qu’on vienne le troubler et lui demander raison pour des faits qui concernent Pékin.

Au surplus, le gouverneur-général Ho avait à ce moment d’autres soucis. Une nombreuse armée de rebelles, après avoir défait les troupes impériales, était arrivée presque sous les murs de Sou-tchou, et de là menaçait Shang-haï. Plusieurs villes de la province avaient été pillées ; les campagnes étaient dévastées, les populations, pleines d’épouvante, fuyaient pêle-mêle dans toutes les directions. En l’absence du gouverneur-général, le principal magistrat de Shang-haï supplia les ministres étrangers de pourvoir à la défense de la ville. Ho lui-même, dès son retour et sous le coup de la défaite que son armée venait d’essuyer, sollicita une conférence avec MM. Bruce et de Bourboulon pour leur exposer l’état des choses et leur demander leur appui. M. Bruce a conservé le procès-verbal de l’audience qu’il voulut bien lui donner et qui dura plus de deux heures, pendant lesquelles Ho, assisté de deux mandarins, déploya toutes ses ressources diplomatiques. En premier lieu, il avoua qu’il était un peu sourd, ce qui devait lui permettre de ne pas tout entendre, de tout désavouer au besoin, en laissant le fardeau et les périls de la discussion à ses acolytes ; puis, déplorant le désaccord qui régnait entre les puissances étrangères et le cabinet de Pékin, il annonça qu’il avait reçu les pouvoirs nécessaires pour arranger les difficultés. Toutefois, quand on le pria d’exhiber ces pouvoirs. il se trouva qu’il avait oublié de les apporter. Enfin, et c’était là le principal objet de sa visite, il demanda que les Anglais lui prêtassent assistance pour rétablir la tranquillité dans toute la province et pour défendre contre les rebelles une contrée où les négocians européens avaient toujours été si cordialement accueillis. Si ce concours était accordé, nul doute que l’empereur ne fût disposé à en tenir grand compte lorsqu’il examinerait les propositions des ministres alliés et à manifester toute sa clémence. — Le gouverneur-général tint probablement le même langage à M. de Bourboulon. Il n’est pas besoin de dire que ni le ministre anglais ni le ministre