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avanies et des crises, placer le commerce et la politique dans un état d’inquiétude continuelle. La moindre mésintelligence éclatant à Pékin entre le cabinet chinois et les représentans des souverains européens deviendrait immédiatement très grave à raison du caractère des personnes engagées, tandis que les discussions qui s’élevaient dans les ports entre les mandarins et les consuls pouvaient toujours se terminer à l’amiable. Telles étaient les impressions d’une partie notable et influente de l’opinion publique en Angleterre, où les susceptibilités militaires n’étaient pas excitées aussi vivement qu’en France par l’échec subi devant les forts de Takou. Il était impossible enfin de ne pas tenir compte de la situation particulière où se trouvait la Chine aux prises avec une insurrection formidable qui, depuis plusieurs années, ruinait les plus belles provinces. Était-il prudent d’ajouter aux périls d’une situation déjà si compromise et de précipiter par une attaque extérieure la chute de ce vaste empire, dont les débris écraseraient les établissemens européens créés après tant d’efforts et au prix de tant de sacrifices à Canton, à Shang-haï, à Ningpo ? Il y avait là un grave sujet de préoccupation. La question chinoise, dont on se croyait, momentanément au moins, délivré par les traités de Tien-tsin, réapparaissait ainsi tout entière avec ses complications et ses périls, menaçante pour les intérêts commerciaux, très onéreuse pour le budget. C’était pour le cabinet anglais une malencontreuse aventure sans gloire et sans profit.

Les premières dépêches écrites par lord John Russell à la suite de l’incident de Takou exprimèrent tout à la fois l’approbation de la conduite tenue par M. Bruce, la volonté de ne pas supporter l’insulte faite au drapeau anglais, et le désir ainsi que l’espérance d’une solution amiable. « Il n’y a point lieu, dit une dépêche du 10 octobre 1859, d’interrompre les relations amicales avec les Chinois à Shang-haï, à Canton et dans les autres ports. On fait des préparatifs en Angleterre et en France pour arriver à l’exécution pleine et entière des traités de Tien-tsin ; mais il est à espérer que, lorsque nos conditions et nos préparatifs seront connus du gouvernement chinois, les rapports pacifiques pourront être solidement rétablis sans autre effusion de sang. » Le 29 octobre, lord John Russell transmettait à M. Bruce des instructions pour le cas où le cabinet de Pékin se montrerait disposé à reprendre les communications diplomatiques. Il lui prescrivait d’exiger en premier lieu des excuses formelles à raison de l’affaire de Takou, de réclamer les facilités nécessaires pour se rendre à Pékin en remontant jusqu’à Tien-tsin sur un navire anglais, et de déclarer au gouvernement chinois que l’arrangement particulier en vertu duquel lord Elgin