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naturel, comme s’il n’existait pas le moindre nuage entre les gouvernemens. Des traités non ratifiés étaient invoqués et exécutés de part et d’autre au profit du commerce. L’ordre le plus parfait régnait à côté du désordre qui troublait les rapports diplomatiques et à la veille d’une rupture presque certaine : situation des plus étranges ; mais nous sommes en Chine, et cela dispense de toute explication.


II

C’est au mois de septembre 1859 que les cabinets de Paris et de Londres reçurent la nouvelle des événemens qui s’étaient accomplis le 25 juin de la même année devant les forts de Takou. Le gouvernement français n’éprouva pas la moindre hésitation sur le parti à prendre. Le pavillon avait été gravement insulté : il fallait le venger à tout prix. Au moment où la France poursuivait en Cochinchine une œuvre de conquête et de colonisation, il lui importait essentiellement de ne point laisser diminuer le prestige qui lui était indispensable pour appuyer son action dans les contrées de l’extrême Orient. L’honneur militaire parlait plus haut que tout le reste. Avoir été obligé de faire retraite devant des canons chinois, c’était là une pensée à laquelle ne pouvait se résigner le gouvernement, et qui ne devait pas être davantage acceptée par le tempérament de la nation. La guerre fut donc immédiatement résolue. A Londres, les opinions furent d’abord très divisées. Certes on y ressentait comme à Paris l’insulte qui venait d’être infligée au drapeau national, et les considérations politiques les plus pressantes commandaient à l’Angleterre de maintenir le prestige de ses armes aux yeux du monde asiatique, dont une partie est directement soumise à son empire et dont l’autre partie subit la domination morale de son influence et de son commerce ; mais en même temps on songeait aux dépenses énormes que devait entraîner une reprise d’hostilités contre la Chine, on calculait les pertes qu’une nouvelle guerre pouvait causer à l’industrie et au commerce de la Grande-Bretagne, et l’on n’apercevait pas le terme de tant de sacrifices. — Pourquoi, disait-on, ne pas se borner à garantir aux Européens l’accès des villes du littoral, où il était aisé de les protéger avec quelques navires de guerre, et à quoi bon faire violence aux préjugés chinois, aux sentimens et à la dignité de l’empereur de Chine, en exigeant que la légation anglaise fût admise à la cour de Pékin et résidât au besoin dans la capitale ? Insister sur l’exécution de cette clause du traité, c’était s’exposer à des difficultés sans cesse renaissantes, compromettre à tout moment les bonnes relations, provoquer des