Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sin venait de cueillir à Takou, et ils comprenaient que cette victoire tout à fait accidentelle pouvait n’être que le commencement d’une guerre nouvelle et d’une nouvelle humiliation pour leur pays. L’antagonisme entre les deux partis contraires devait se manifester avec plus de vivacité que jamais en présence des événemens si graves qui venaient de s’accomplir. Il est facile d’en observer la trace dans les édits impériaux et dans les pièces diplomatiques émanées des agens du gouvernement chinois après l’affaire du 25 juin. Voici d’abord un édit, à la date du 5 juillet, d’après lequel on peut se former une première idée des obsessions qui entouraient l’empereur pour l’exciter aux mesures violentes :

« Dans un mémoire qu’ils ont remis aujourd’hui, San-ko-lin-sin et Tsai-hang, rappelant que les barbares anglais se sont mis en état de révolte ouverte et que les barbares français ont fait cause commune avec eux, insistent vivement sur l’énormité de ce crime, pour lequel la mort même ne serait pas une peine suffisante ; ils veulent que l’on profite de cette occasion pour venger notre dignité et pour dompter enfin, par les mesures les plus sévères, l’incorrigible perversité de ces rebelles.

« Depuis la vingt et unième année du règne de Tao-kwang (1841), les barbares ont constamment fomenté des querelles : maintes et maintes fois ils ont foulé aux pieds la dignité de l’empire du ciel. Le défunt empereur, dans sa paternelle indulgence, ne put se résoudre à déployer contre eux la rigueur des lois. Bien plus, il leur permit de trafiquer dans cinq ports, et il puisa de l’argent dans son trésor pour les calmer et les consoler. S’ils avaient eu la moindre conscience, ils se seraient livrés tranquillement à leurs affaires en cherchant à gagner leur vie, et, s’ils avaient eu quelque motif de plainte, ils auraient trouvé les autorités locales disposées à les entendre et à leur rendre justice. D’où viennent donc leurs exigences, leur orgueilleuse attitude, leurs continuelles forfanteries ?… Il nous suffirait de mettre nos troupes en mouvement pour les exterminer d’un seul coup ! Cependant nous nous souvenons de la clémence de nos ancêtres… C’est pourquoi, si les chefs barbares changent de conduite, s’ils font acte de foi et de soumission, nous ne nous montrerons pas trop rigoureux à leur égard ; mais s’ils persistent dans leur conduite coupable, s’ils reproduisent encore des demandes qu’ils n’ont pas le droit de présenter, alors nous les anéantirons jusqu’au dernier !

« La loyauté et le courage des princes, dont le mémoire est sous nos yeux, est assurément digne des plus grands éloges ;… mais quant aux mesurés de rigueur qui nous sont demandées, nous ne pensons pas qu’il y ait lieu d’y recourir. Nous ordonnons en conséquence que les conclusions du mémoire ne. soient point adoptées, et que cette pièce soit renvoyée à ses auteurs. »

Pendant son séjour à Pékin, c’est-à-dire à la date même que porte cet édit, le ministre des États-Unis, M. Ward, avait observé