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externe, dont la nature échappe à nos sens, produit sur nos organes un certain effet que l’on appelle la sensation de chaleur, et par suite on a donné le nom de chaleur à la cause qui produit cet effet ; mais cette cause est très différente de la sensation qu’elle produit. Le feu n’a pas chaud, la glace n’a pas froid ; on dit que l’un est chaud et que l’autre est froide, parce qu’ils sont l’un et l’autre cause de ces deux sensations contraires. Eh bien ! cette cause extérieure inconnue que nous appelons chaleur peut, dans certaines conditions, disparaître à nos sens et cesser d’être sentie comme chaleur ; alors il se passe en dehors de nous un autre phénomène, qui est précisément l’équivalent de la chaleur perdue, à savoir un phénomène de mouvement. La machine qui absorbe une certaine quantité de chaleur produit une certaine quantité de mouvement, et dans tous les cas ces deux quantités sont égales. En un mot, une même cause peut, selon les circonstances, produire tantôt la sensation de chaleur sur un sujet sentant, tantôt un phénomène de mouvement dans un corps qui ne sent pas. Tout ce qui résulterait de là, ce serait donc qu’une même cause peut produire sur deux substances différentes deux effets différens, mais non pas que cette cause puisse se transformer en autre chose qu’elle-même et devenir ce qu’elle ne serait pas. On ne peut donc rien conclure de là en faveur de la transformation du mouvement en pensée.

Il y a plus : la chaleur elle-même, en tant que chaleur, n’est déjà, suivant l’hypothèse la plus répandue, qu’un phénomène de mouvement, et les physiciens n’hésitent pas à n’y voir, comme pour la lumière, qu’une vibration de ce fluide impondérable que l’on appelle l’éther. Ainsi objectivement la chaleur, comme la lumière, n’est pour nous qu’un mouvement, et elle ne devient chaleur sentie que dans un sujet sentant. La chaleur sentie est donc, comme la lumière sentie, un phénomène tout subjectif, qui implique la présence de la conscience, non pas sans doute de la conscience philosophique et réfléchie, mais d’une conscience proportionnée à la sensation même. Or, la chaleur objective étant déjà un mouvement, comment s’étonner qu’elle produise des mouvemens ? Seulement ce mouvement imperceptible de l’éther tantôt, se communiquant à nos nerfs, produit dans le moi ou dans l’esprit la sensation de chaleur, et tantôt, se communiquant aux corps qui nous environnent, produit des mouvemens visibles à nos sens. Il n’y a pas là la moindre métamorphose, la moindre sorcellerie. Le mouvement produit du mouvement, il ne produit pas autre chose. À la vérité, il reste toujours à expliquer comment ce qui est extérieurement mouvement détermine intérieurement la sensation de chaleur ; mais c’est là, je le répète, ce qui est en question, et on retrouve toujours