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de la partie périphérique des corpuscules ganglionnaires relativement à celle de leurs parties centrales ou de leur noyau relativement à leur périphérie, si l’on prétendait que la réunion des conceptions en une pensée ou en un jugement qui exige à la fois l’idée de l’objet, celle des attributs et celle de la copule, dépend du conflit de ces corpuscules et d’une action des prolongemens qui les unissent ensemble, si l’on prétendait que l’association des idées dépend de l’action soit simultanée, soit successive, de ces corpuscules, — on ne ferait que se perdre au milieu d’hypothèses vagues et dépourvues de tout fondement[1]. »

De tout ce qui précède, je ne crois pas qu’il soit bien téméraire de conclure que nous ne savons rien, absolument rien, des opérations du cerveau, rien des phénomènes dont il est le théâtre lorsque la pensée se produit dans l’esprit. Admettons pourtant que toutes les questions que nous avons signalées soient résolues, que l’on sache avec précision que la pensée correspond à un mouvement du cerveau, et de quel genre est ce mouvement, admettons même que l’on puisse suivre dans le dernier détail la correspondance des mouvemens et des pensées : que saurons-nous de plus, si ce n’est qu’il y a là deux ordres de phénomènes constamment associés, qui même pourront être considérés comme réciproquement causes les uns des autres, mais qui sont absolument incomparables et irréductibles ? On pourra bien dire : La pensée est liée au mouvement ; mais on ne dira pas : La pensée est un mouvement.

C’est cependant cette dernière formule qui jouit aujourd’hui d’une certaine popularité dans quelques écoles. Or il me semble que cette proposition, si elle n’est pas une métaphore hyperbolique, est absolument inintelligible et recouvre un véritable non-sens. Le mouvement est un mouvement, et la pensée est une pensée ; l’un ne peut pas être l’autre. Le mouvement est quelque chose d’objectif, d’extérieur, c’est la modification d’une chose étendue, figurée, située dans l’espace. Au contraire il m’est impossible de me représenter la pensée comme quelque chose d’extérieur : elle est essentiellement un état intérieur. Par la conscience, je ne puis saisir en moi ni forme, ni figure, ni mouvement, et par les sens au contraire, qui me donnent la figure et le mouvement, je ne puis saisir la pensée. Un mouvement peut être rectiligne, circulaire, en spirale : qu’est-ce qu’une pensée en spirale, circulaire ou rectiligne ? Ma pensée est claire ou obscure, vraie ou fausse : qu’est-ce qu’un mouvement clair ou obscur, vrai ou faux ? En un mot, un mouvement pensant implique contradiction.

  1. Müller, Physiologie, t. II, liv. VI, sect. I, chap. II, trad. franc., p. 403.