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limite, si l’une disparaît, toutes disparaissent. La contre-épreuve de cette expérience est très curieuse. On peut conduire l’opération de telle sorte que la lésion guérisse et que les fonctions renaissent. Eh bien ! dès qu’une faculté renaît, toutes renaissent. Tout se perd, tout renaît à la fois. C’est là du moins ce que nous affirme M. Flourens, et il y trouve la preuve physiologique de l’unité de l’intelligence.

On a fait observer, à l’appui de la phrénologie, que dans la folie les facultés peuvent être surprises dans un certain état d’isolement. On voit en effet telle, faculté persister, telle autre disparaître. La mémoire subsiste souvent seule dans la ruine de toutes les facultés ; le raisonnement continue souvent à s’appliquer à des idées fausses avec une singulière subtilité. Réciproquement, tel ordre de pensées, tel ordre d’affections peut disparaître seul, le reste demeurant intact. On a toutefois répondu à cette objection que ces faits sont absolument analogues à ceux qui se produisent dans l’ordre de nos sensations, sans que l’on soit pour cela obligé de conclure à la diversité des sièges organiques. Ainsi tous les nerfs sensitifs de la peau ont assurément les mêmes propriétés[1], et cependant un malade peut perdre la sensation de température et conserver la sensation de douleur, de tact, et réciproquement. Il en est de même des autres sens ; on peut avoir la perception de telle couleur et non de telle autre, ressentir encore le goût du sucre, perdre le goût du sel, etc. ; ces perturbations étranges et isolées nous conduiront-elles à localiser chacune de ces sensations ? Non sans doute. Ainsi un même organe peut perdre tel de ses modes d’action sans qu’on ait le droit de mettre en doute son unité.

Telles sont les raisons générales qui ont été invoquées contre la doctrine phrénologique, et il est impossible d’en méconnaître la valeur ; mais, indépendamment de ces objections, qui atteignent la théorie générale, on peut dire que de toutes les localisations proposées par les phrénologues aucune n’a été confirmée par l’expérience. Par exemple, le cervelet avait été proposé par Gall comme

  1. C’est ce qu’affirme M. Vulpian dans ses leçons du Muséum ; mais est-il bien démontré que les nerfs tactiles jouissent tous des mêmes propriétés et sont tous homogènes ? Gratiolet paraissait incliner à l’opinion opposée. « Les sens, disait-il (Anatomie comparée du système nerveux, p. 403), sont moins simples qu’on ne l’avait supposé, et il est probable que les nerfs d’un même sens contiennent plusieurs variétés de filamens élémentaires. Gall admettait dans le nerf optique, l’existence d’autant d’élémens doués de propriétés spéciales que nous pouvons distinguer de couleurs. Certaines expériences de M. Claude Bernard confirment ces vues quant au sens du goût, et la pluralité des sens du toucher n’est plus un doute pour personne. » Ce qui parait du reste certain, c’est qu’il est impossible d’admettre autant d’espèces de nerfs qu’il y a d’espèces de sensations, car il en faudrait un nombre infini.