Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’intelligence dans les lobes antérieurs soulève de graves objections. M. Leuret par exemple fait observer qu’à mesure qu’on, descend de l’homme aux animaux inférieurs, ce ne sont pas les parties antérieures du cerveau qui viennent à manquer, ce sont les postérieures, celles-là précisément où Gall localise les facultés animales. Pour répondre à cette difficulté, les phrénologues déplacent les facultés et les font marcher avec le cerveau ; mais, dit M. Leuret avec raison, si les organes peuvent ainsi se déplacer et aller d’arrière en avant, ils peuvent tout aussi bien aller d’avant en arrière, et alors pourquoi les organes frontaux n’iraient-ils pas se ranger sous le pariétal ? les organes n’ayant plus de place fixe, il est impossible de les déterminer. S’ils sont liés au contraire d’une manière rigoureuse à telle faculté, cette faculté doit disparaître avec eux ; par conséquent les instincts purement animaux doivent disparaître ou être plus faibles chez les mammifères inférieurs et l’intelligence rester au moins égale, puisque c’est la partie postérieure du cerveau qui disparaît, et non l’antérieure. C’est certainement là un des argumens les plus forts contre la doctrine phrénologique. D’autres faits non moins graves déposent contre la localisation des facultés intellectuelles dans les parties antérieures du cerveau : c’est d’abord le fait signalé par M. Lélut, à savoir que cette partie du cerveau est égale chez les idiots à ce qu’elle est chez les autres hommes ; ce sont enfin de nombreux cas pathologiques d’où il résulte que les mêmes troubles intellectuels peuvent se produire, dans quelque partie du cerveau qu’ait eu lieu la lésion, soit en avant, soit en arrière, soit sur les côtés. Les phrénologues expliquent ces faits en disant que lorsque la blessure ou le mal se produit par derrière, les parties antérieures sont sympathiquement malades ; mais on pourrait faire le raisonnement inverse avec la même autorité, et par là toutes les indications de l’anatomie pathologique sont entachées d’incertitude et d’obscurité[1]. Enfin l’on cite de nombreux cas de lucidité intellectuelle coïncidant avec les lésions de la partie antérieure du cerveau !

Une dernière objection très grave contre la phrénologie, et même contre le principe des localisations cérébrales en général, se tire des vivisections, qui n’ont jamais permis de surprendre une faculté isolée des autres. Nous avons vu que, suivant M. Flourens, on peut enlever dans un animal une partie considérable du cerveau sans qu’aucune faculté soit perdue ; mais, au-delà d’une certaine

  1. Voyez Longet, Anatomie comparée du système nerveux, t. 1er, p. 279.