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circonvolutions les indices du progrès intellectuel voulaient-ils simplement dire que plus il y a de circonvolutions, plus il y a de matière cérébrale dans un espace donné. Il n’y a pas là toutefois cette délimitation précise qui permet de distinguer un organe d’un autre. « Encore, dit M. Leuret, si les phrénologues se fussent attachés à lier exactement telle faculté à telle circonvolution déterminée, il y aurait là quelque chose de positif et de digne d’examen ; mais non, ils font avec un crayon des départemens sur des cartes. De limites naturelles sur les crânes ou sur le cerveau lui-même, on ne se donne pas la peine d’en indiquer. » M. Leuret fait cette remarque à propos des planches de M. Vimont, qui, on l’a vu, est si sévère lui-même pour celles de Spurzheim et de M. Combes. Enfin le système de Gall supposerait que le siège des facultés serait situé à la surface du cerveau. Or, lui répond M. Flourens, on peut enlever à un animal, soit par devant, soit par derrière, soit par côté, soit par en haut, une portion assez étendue de son cerveau sans qu’il perde aucune de ses facultés.

La question la plus importante soulevée par la doctrine phrénologique, et qui même aujourd’hui n’est pas encore entièrement jugée, est de savoir si les parties antérieures du cerveau, et que l’on appelle les lobes frontaux, ne seraient pas le siège spécial des facultés de l’entendement. Ce qui paraît avoir conduit à cette théorie, c’est ce fait de sens intime qui nous fait localiser la pensée dans cette partie de la tête ; c’est là en effet, et ce n’est pas par derrière, que nous nous sentons penser. Il s’agit là cependant d’un phénomène très complexe, qui n’a peut-être pas toute la valeur que l’on pourrait croire. En général, les localisations subjectives sont pleines d’incertitude. On sait que les amputés souffrent dans les organes qu’ils ont perdus ; on sait que les lésions des centres nerveux se font sentir surtout aux extrémités. Ce qui est plus décisif encore et se rapporte de plus près au fait en question, c’est que, d’après les phrénologues (et en cela les physiologistes leur donnent raison), les affections, les émotions, les passions, ont leur siège dans le cerveau : or il ne nous arrive jamais de les localiser là ; nous n’avons pas conscience d’aimer par la tête, mais par le cœur. Ce n’est cependant pas dans le cœur qu’est le siège de l’affection. Si donc nous nous trompons en localisant dans le cœur les affections qui n’y sont pas, nous pouvons nous tromper en localisant la pensée dans la partie antérieure du cerveau[1]. D’ailleurs la localisation

  1. Je sais que M. Claude Bernard, dans un travail qu’a publié la Revue (1er mars 1865), a essayé de réhabiliter le cœur. Il a montré qu’il n’y a pas une seule des émotions ou affections qui ne retentisse dans le cœur, et que les plus fugitives, les plus délicates impressions du cerveau se traduisent en altérations des battemens du cœur. Ces faits sans doute sont éminemment curieux : toujours est-il que le cœur ne fait que recevoir le contre-coup de ce qui se passe dans le cerveau : c’est dans le cerveau qu’a lieu le phénomène initial, et de celui-là nous n’avons nulle conscience.