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avoir la prétention de savoir d’avance si le cerveau est un organe simple ou complexe. Interdire tel ou tel système anatomique au nom d’une doctrine philosophique, ce serait raisonner comme les théologiens du moyen âge qui condamnaient le mouvement de la terre au nom de la révélation. Que reprochait-on au docteur Gall ? De détruire l’unité du moi en admettant la multiplicité des organes cérébraux, et de détruire le libre arbitre en soutenant l’innéité organique des instincts. En un mot, on reprochait à la doctrine de Gall de conduire au matérialisme et au fatalisme. Il y a réponse à ces deux objections.

Pour ce qui est du matérialisme, Gall lui-même s’expliquait en ces termes : « Quand je dis que l’exercice de nos facultés morales et intellectuelles dépend des conditions matérielles, je n’entends pas que nos facultés soient un produit de l’organisation ; ce serait confondre les conditions avec les causes efficientes. » Cette distinction est précisément celle que font les spiritualistes quand on leur objecte l’influence du physique sur le moral, et elle est très à sa place ici. On dit que la pluralité des organes cérébraux est contraire à l’unité du moi, et M. Flourens insiste particulièrement sur cette objection. Gall répond qu’on ne voit pas pourquoi l’âme ne se servirait pas de plusieurs organes tout aussi bien qu’elle se sert d’un seul. Lors même que le cerveau ne serait pas un organe complexe, un composé d’organes, il n’en est pas moins, puisqu’il est matériel, un tout composé ; or l’unité de l’âme n’est pas compromise par cette multiplicité de parties : pourquoi le serait-elle par la multiplicité des organes ? L’objection de M. Flourens est d’autant moins fondée de sa part que lui-même admet certaines localisations ; il distingue l’organe de l’intelligence ou le cerveau de l’organe de la sensibilité, qui est la moelle épinière, de l’organe coordinateur des mouvemens, qui est le cervelet. Que ces localisations soient plus ou moins générales, cela importe peu ; toujours est-il que l’âme manifeste son activité par plusieurs organes différens, car on ne peut nier que la sensibilité et la coordination du mouvement n’appartiennent à l’âme aussi bien que l’intelligence. La pluralité des organes n’est donc pas contraire à l’unité de l’esprit. L’imputation de fatalisme, qui est la plus répandue contre la doctrine de Gall, ne me paraît pas non plus très fondée. Que l’on accepte ou non cette doctrine, on est bien obligé de reconnaître que nos inclinations et nos passions sont plus ou moins liées à l’organisme. L’école cartésienne même, suivant en cela les traces de l’école thomiste, définissait les passions « des mouvemens de l’âme liés à des mouvemens corporels. » La vieille théorie des tempéramens et de leur influence sur les caractères peut avoir été plus ou