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beaucoup plus solides que les précédens. Il nous dit que, dans des cas nombreux et incontestables, des causes purement physiques déterminent la folie, qu’un traitement tout physique la guérit. La folie peut résulter d’une maladie, d’une chute, de la suppression d’une éruption cutanée, etc. En dehors même de ces cas de folie, nous voyons que la fièvre produit le délire, que le sommeil change les conditions de la pensée, que la catalepsie produit des états intellectuels anormaux. En outre, parmi les causes de la folie que l’on appelle des causes morales, il en est qui certainement n’agissent, sur l’esprit que par l’intermédiaire des organes : par exemple, l’abus des boissons, le libertinage, ne causent la folie qu’après avoir altéré l’organisme. Eh bien ! n’est-il pas rationnel de conclure de ces faits, si connus et si positifs, à ceux qui le sont moins ? Nous sommes sûrs que, dans certains cas, la folie dérive d’une cause physique, et se lie à un désordre de l’organisation : pourquoi n’en serait-il pas de même dans tous les cas ?

Cela peut être, sans aucun doute ; mais cela est-il ? Voilà la question. On ne peut contester qu’il n’y ait des cas où le désordre intellectuel a sa cause dans quelque désordre organique en vertu des lois de l’union de l’âme et du corps ; n’y en a-t-il pas d’autres aussi où il semble que le trouble soit exclusivement moral, et où l’organisme n’intervient qu’incidemment et subsidiairement : par exemple, lorsque la folie est causée, ce qui est très fréquent, par des chagrins domestiques, un amour contrarié, une ambition déçue, des scrupules religieux portés à l’excès ? Qui pourrait nier alors que le trouble initial ne soit dans l’ordre moral ? C’est là qu’il se produit, qu’il continue, qu’il s’étend, qu’il s’invétère, qu’il devient incurable. Il n’est pas besoin de faire intervenir une cause organique pour comprendre que le chagrin puisse produire la folie. Le lien entre ces deux faits est immédiat, et il est même possible d’en saisir la trace dans l’état normal. Si je viens à ressentir une grande douleur morale dans le moment où je suis occupé d’un travail intellectuel, je deviens incapable de le continuer, et si je veux m’y forcer, je ne sens mes idées ni si vives, ni si faciles, ni si suivies qu’auparavant. Une passion exclusive rend les actes raisonnables plus pénibles à accomplir. C’est là un rapport psychologique, et non organique. Supposez que ce trouble superficiel devienne plus profond, que mon libre arbitre soit suspendu, que mes idées, affranchies de leur discipline habituelle, se produisent fatalement, suivant une sorte d’automatisme : me voilà sur le chemin de la folie. Que ce délire momentané devienne chronique, c’est la folie même. Or, dans cette génération de faits, où est la nécessité d’une altération organique ? Chacun sort de l’autre par la puissance