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sérieusement de remplacer la pomme de terre par la purée de pois, aliment très phosphore. Ces extravagances avaient leur origine dans le mémoire d’un savant chimiste, M. Couerbe, qui avait cru trouver en effet dans le phosphore le principe excitateur du système nerveux. Suivant lui, le cerveau des hommes ordinaires contient 2,50 pour 100 de phosphore ; celui des idiots, de 1 à 1,50 ; celui des aliénés, de 4 à 4,50. Il en concluait que « l’absence de phosphore dans l’encéphale réduit l’homme à l’état de la brute, qu’un grand excès irrite le système nerveux et le plonge dans ce délire épouvantable que nous appelons la folie, enfin qu’une proportion moyenne rétablit l’équilibre et produit cette harmonie admirable qui n’est autre chose que l’âme des spiritualistes. » À cette théorie, on a opposé que la cervelle des poissons, qui ne passent pas pour de très grands penseurs, contient beaucoup de phosphore. De plus M. Lassaigne, qui a analysé des cerveaux d’aliénés, n’y a pas trouvé plus de phosphore que dans ceux des hommes sains en général. Enfin les travaux de M. Couerbe sur la chimie du cerveau ont été entièrement détruits et réfutés par un savant mémoire de M. Frémy. Il serait sans doute très imprudent de soutenir que la composition chimique du cerveau n’a aucune influence sur le développement intellectuel, et le fait du crétinisme peut donner à réfléchir, car il paraît établi que cette malheureuse monstruosité est un arrêt de développement qui tient en partie à l’absence de certains élémens (iode ou autres) dans la composition de l’air atmosphérique. Il y a donc là une considération dont il faudra tenu ; compte ; mais que cette considération soit la seule et que l’on puisse avec le phosphore, l’iode ou telle autre substance, remplacer l’âme, comme le pensait M. Couerbe, c’est ce qui reste fort douteux.

Pour compléter la revue de toutes les conditions physiques que l’on a cru pouvoir assigner à la pensée, nous aurions encore à rappeler la Structure microscopique du cerveau, l’action de l’électricité sur le système nerveux, etc. ; mais ce serait dépasser de beaucoup le cadre de ce travail. Nous renverrons pour les détails de ce genre, au livre de M. Lélut, et nous passerons immédiatement à des questions plus importantes. La folie, les localisations, la mécanique cérébrale, appellent notre attention ; seulement ce sont là, des questions si vastes et si complexes que nos recherches auront pour objet beaucoup moins de les résoudre que d’inspirer le désir de les étudier.