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pour fonder des institutions, une nation, une patrie. Après tant de sacrifices faits par le peuple américain à l’Union, tant de sang versé, tant de richesses perdues, peut-on redouter que ce peuple ne sache point faire les sacrifices désormais bien plus légers, bien plus faciles, qui seront nécessaires pour consolider son œuvre ? Croit-on qu’il cédera trop facilement aux instigations de la rancune et de la colère, et qu’il se jettera par exemple à plaisir dans les complications de la guerre étrangère ? Il a reconquis tout son territoire, mais il n’a aucune envie de l’étendre. Il sait mieux que personne combien les difficultés qu’il a eu à vaincre ont grandi par l’immensité même de ce territoire. Son ambition ne rêve point l’annexion de provinces nouvelles : il lui importe bien plus d’effacer dans les anciennes toute trace de la guerre civile. Il n’est pas à craindre non plus que dans l’enivrement de son triomphe il se montre sans pitié pour les vaincus ; tout sera pardonné à ceux qui cesseront d’être les ennemis de l’Union. Le nord tirera lui-même le sud de l’abîme de ruine et de misère où il s’est volontairement jeté : il lui offre déjà ses capitaux, ses bras, ses machines, ses écoles, ses institutions municipales, le secours de son intelligence et de son activité. Il ne lui demande qu’une chose en retour : c’est l’abdication de cette puissance sinistre et barbare qui a pour armes non-seulement des fusils, mais des fouets et des poignards, qui a fait répandre des torrens de sang humain et failli amener la ruine de la république. Pour que l’Union vive, il faut que l’esclavage périsse, et que périsse avec lui tout ce qui reste encore de son œuvre politique et sociale.


AUGUSTE LAUGEL.