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de plus noble, de plus élevé, tout ce qui demande un sacrifice ou impose une lutte à la conscience.

Dans Philadelphie même, l’influence des quakers reste aujourd’hui à peine visible. Cette grande et belle ville, à la fois commerciale et industrielle, diffère peu des autres cités du nord des États-Unis. Peut-être les rues, qui se coupent à angle droit, y sont-elles un peu plus monotones encore et plus régulières, peut-être y a-t-il un peu d’affectation dans la propreté des maisons, dont les petits escaliers de marbre blanc, sans garde-fous, sont lavés tous les jours ; les portes et les fenêtres sont aussi de marbre, et des volets pleins, peints en blanc, remplacent les persiennes vertes qu’on voit partout ailleurs. Dans les maisons en deuil, les volets sont fermés, et à l’entre-bâillement pend un long crêpe noir. Si tout dans cette ville a je ne sais quoi de grave et de décent, on n’y voit cependant pas un seul homme qui porte le costume sévère et traditionnel de Penn, pas une femme dont la tête soit enveloppée des coiffes blanches des quakeresses. A côté des douze églises ou meeting-houses des amis (le mot de meeting-house remplace celui de church dans les villages puritains de la Nouvelle-Angleterre), toutes construites avec une extrême simplicité, les épiscopaliens ont élevé trente et une églises, dont plusieurs ont l’aspect monumental ; les presbytériens en ont jusqu’à cinquante et une, les catholiques quatorze, sans parler d’une grande cathédrale qui vient d’être terminée. Les baptistes sont très nombreux et ont vingt-deux temples, les méthodistes vingt et un, les luthériens huit, sans compter plusieurs autres sectes de moindre importance. Cette énumération démontre du moins que Philadelphie n’a point perdu son caractère religieux ; elle est également restée fidèle à son caractère philanthropique : ses hôpitaux, ses écoles de médecine sont dignes de leur vieille réputation ; elle a des asiles pour les sourds-muets, pour les aveugles, des dispensaires pour les pauvres, des établissemens de toute sorte pour les orphelins, pour les femmes sans ressources, des sociétés sans nombre pour l’éducation des prisonniers, des gens de couleur, etc. Son système pénitentiaire a été copié par beaucoup de pays. La grande prison cellulaire, qui a la forme d’une vaste roue, semble avoir servi de modèle à notre prison de Mazas ; les bâtimens affectés aux détenus forment comme autant de rayons qui vont converger vers un centre commun et qui sont séparés par des préaux angulaires. L’isolement des prisonniers n’est plus aussi complet qu’autrefois ; ils voient plus fréquemment des figures humaines et peuvent échanger quelques paroles avec leurs gardiens, ainsi qu’avec les personnes autorisées à les visiter. C’est du toit du collège de Girard que j’aperçus l’ensemble de cet