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une rivière magnifique, qui, après de longs méandres, vient se jeter à Cove dans le Susquehannah, et le voyageur qui suit la rive droite de ces fleuves arrive bientôt à Harrisburg.

Harrisburg est la capitale politique de l’état de Pensylvanie. Un magnifique pont en treillis, appuyé sur dix-huit grandes piles, y traverse le fleuve. Cet admirable ouvrage d’art faillit être détruit pendant la seconde invasion du Maryland et de la Pensylvanie par l’armée confédérée en 1863. L’avant-garde de Lee était le 27 juin 1863 à Kingstown, à treize milles seulement de Harrisburg. Deux jours après, le général Lee portait son quartier général à Carlisle. L’alarme s’était répandue dans toute la Pensylvanie, et déjà l’on travaillait à élever des défenses autour de Pittsburg. La victoire de Gettysburg, remportée par le général Meade, obligea les confédérés à évacuer la Pensylvanie et les rejeta de l’autre côté du Potomac. Pendant cette courte invasion, les populations allemandes qui occupent les vallées de la partie méridionale de la Pensylvanie furent soumises à de nombreuses réquisitions. Les Dutckmen, c’est le nom qu’on donne partout aux Allemands dans les États-Unis, ne songèrent même pas à résister aux envahisseurs ; dans le grand drame auquel ils se trouvaient mêlés par hasard, ils semblaient vouloir conserver le simple rôle de témoins. Certains régimens levés dans la Pensylvanie, surtout au commencement de la guerre, se montrèrent inférieurs à tous les autres en courage, en solidité, en intelligence militaire. De tous les états de l’Union, la Pensylvanie, bien qu’il soit un des plus anciens, est peut-être celui où la population reste encore le moins homogène. On pourrait aisément en faire la carte ethnographique. Les plaines du nord sont occupées par les gens de race anglo-saxonne. Sur les bords de la Juniata s’est jeté un courant d’Écossais, d’irlandais protestans et de Yankees qui se mêlent seulement dans la partie méridionale de la vallée aux Dutchmen. Les Allemands sont les maîtres de toutes les terres fertiles qui séparent Harrisburg de Philadelphie. Économes jusqu’à l’avarice, ils laissent à la race anglaise les soucis et les émotions de la politique ; ils ne songent qu’à étendre leur riche domaine, et d’année en année chassent les Américains proprement dits des terres qui leur restent encore. L’énorme barrière de l’Alleghany les a tenus séparés du grand courant qui porte hommes et idées depuis la Nouvelle-Angleterre jusqu’aux régions sans limites de l’ouest. L’Allemand de la Pensylvanie vit isolé dans une sorte d’oasis intellectuelle ; il n’a pu être gagné que par la contagion des doctrines qui longtemps ont régné souverainement dans Philadelphie, la cité des amis, et il n’en a pris que ce qui convenait à son égoïsme, à son amour du repos, à sa simplicité, laissant de côté ce qu’il y a