Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les mains du gouverneur de Césarée lorsque la bête féroce (c’est ainsi qu’on désignait le préfet du prétoire) tomba sous l’épée des soldats de Gaïnas, à Constantinople, dans le faubourg de l’Hebdomon. Sans cet événement, Jérôme, mis aux fers comme un criminel d’état, serait allé mourir de misère dans quelque coin inhabitable de l’Ethiopie ou des frontières de la Perse, car les exils de Rufin aboutissaient d’ordinaire à la mort. Le gouverneur de Césarée, magistrat prudent et humain, profita de la chute du ministre pour mettre le décret de côté, et Jean n’osa pas en réclamer l’exécution. Ainsi les monastères de Bethléem furent sauvés d’une destruction complète. Jérôme éleva la voix avec dignité contre cette dernière infamie. « C’est un chagrin pour moi, écrivait-il, que le rescrit impérial ne puisse plus être exécuté : j’y aurais gagné la couronne de l’exil. Néanmoins, si Jean a tant d’envie de me chasser, il peut le faire sans accumuler tant de crimes ; il n’a qu’à me toucher du bout du doigt, et je pars à l’instant même ! »

L’indignation enfin l’emporta ; Jérôme composa contre l’évêque de Jérusalem, dans la forme d’une lettre à Pammachius, une sorte de philippique qui peut se comparer sans trop de désavantage à celles de Cicéron : le même feu, la même ironie terrible, s’y retrouvent, et parfois le même éclat de style.


« A t’en croire, lui disait-il, c’est nous qui divisons l’église, nous qui voulons faire dans son sein un gouvernement à part ! Nous diviser l’église, quand notre communauté n’a qu’un désir, ne forme qu’un vœu, communiquer avec tes prêtres dans la basilique du Sauveur ! Nous diviser l’église, lorsqu’au milieu de l’effroyable cataclysme qui semblait nous annoncer notre dernier jour, nous avons conduit à tes prêtres, pour les baptiser, quarante catéchumènes, hommes, femmes, enfans, jeunes filles, qui s’offraient à nous, que nous pouvions baptiser, et que nous avons refusé de baptiser, parce qu’il appartenait à tes prêtres de le faire ! Puis, lorsque nous avons présenté nos propres catéchumènes, tes prêtres les ont exclus, et nous avons été forcés de les envoyer jusqu’à Diospolis, où Dionysius, évêque et confesseur, les a reçus dans la foi. Nous diviser l’église, quand nous n’y trouvons pas la plus petite place hors de nos cellules, et que nous sommes réduits à contempler de loin la grotte du Sauveur, gémissant et pleurant de voir des hérétiques franchir librement ce seuil sacré qui nous repousse !

« C’est donc nous qui divisons l’église, et non pas toi, toi qui refuses un toit aux vivans, une sépulture aux morts, et qui sollicites l’exil de tes frères ! Qui donc est allé, par les armes spirituelles, exciter contre nos vies la redoutable et puissante bête qui menaçait la vie du monde entier ? Qui donc a ordonné que les ils des saints, ces cendres innocentes, restassent privés de sépulture, battus par la pluie, exposés à tous les outrages du temps ? Voilà les douces caresses par lesquelles le bon pasteur nous in-