Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/409

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Shenandoah et du Potomac, la ville d’Harper’s-Ferry n’a jamais pu arrêter le flot de l’invasion, car cette place, protégée du côté de la vallée par une ligne de hauteurs qui portent le nom de Bolivar, est tout à fait dominée par des collines qui, sur la rive opposée du Potomac, atteignent 500 mètres de haut. On n’a trouvé d’autre moyen de fermer enfin aux armées du sud la voie qui leur avait permis si souvent de déjouer les combinaisons des fédéraux que de brûler les granges, les moulins, et d’enlever tout ce qui pouvait servir à des approvisionnemens. Sheridan a fait payer cher à la grande vallée les privilèges que la nature lui a conférés et la renommée acquise à des noms qui resteront indissolublement liés à l’histoire de la guerre civile.

De Pittsburg à Philadelphie, on traverse en biais tout le massif de l’Alleghany. Le premier chaînon important est le Chestnut-Ridge ou la Crête-des-Marronniers, que l’on traverse à Blairsville. La rivière Conemaugh y sort des montagnes par une combe étroite en courant sur des rapides interrompus de distance en distance par des barrages qui fournissent une chute d’eau à des usines. Sur une grande partie de son cours, la rivière a pu être canalisée ; le long des rapides, un canal la suit à petite distance. La gorge est si étroite qu’il y a place à peine en certains endroits pour le canal, la rivière, le chemin de halage et le chemin de fer. Les voitures de chemins de fer et les locomotives ont aux États-Unis l’essieu de devant mobile ; de la sorte, la voie ferrée peut suivre les courbes les plus hardies. Le voyageur y gagne, car on ne s’enfonce pas aussi souvent qu’en Europe dans l’obscurité des tunnels. Après la chaîne dite des Marronniers, on arrive à la chaîne la plus élevée de l’Alleghany proprement dit. Au pied occidental est Cresson, charmant lieu de plaisance où l’on prend les eaux l’été. On n’y aperçoit encore qu’un immense hôtel en bois surmonté du pavillon étoile, quelques jolis chalets, et un parc nouvellement planté. Peu après, on pénètre dans une vallée transversale ; le train s’y élève par degrés, en décrivant des lacets, sur des rampes très inclinées. On frémit à l’idée d’un déraillement quand on laisse ses regards plonger le long du gigantesque talus de la montagne jusqu’au fond de la vallée, où le torrent ne trace plus qu’un mince filet argentin. On l’aperçoit seulement à travers les pointes des sapins. A mesure qu’on s’élève, le paysage grandit en quelque sorte, et à travers les entre-bâillemens des vallées l’on voit monter les plans verts ou bleuâtres des chaînes plus éloignées, dont les sommets horizontaux fuient les uns derrière les autres. Au pied de la chaîne, on arrive à Altoona, petite ville perdue dans une vallée longitudinale solitaire. On entre peu après dans la vallée de la Juniata. La Juniata est