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l’heureuse distribution des grands arbres en bouquets et en massifs ; mais où trouverait-on en Angleterre ce ciel d’une admirable pureté, cette lumière légère et transparente qui donne à toute chose un relief si puissant, des nuances si riches, si éclatantes ?

Revenu vers la vallée, j’admirai longtemps la position de Cincinnati, étendue au fond d’une coupe de verdure. En 1812, tout était encore silencieux et désert dans ces lieux où s’agite maintenant une multitude humaine. J’entendais de loin les cris de quelques soldats à cheval qui conduisaient un grand troupeau de mulets à un petit ruisseau qui descend au fond d’un pli dans l’Ohio. La fumée des bateaux marquait d’une traînée noire la courbe du grand fleuve. Au loin, parmi de sombres conifères, quelques taches blanches indiquaient la place d’un cimetière, ville des morts presque aussi peuplée déjà que la ville des vivans. La brume du soir commençait à ramper sur l’Ohio, et, montant avec lenteur, adoucissait les angles des. toits rougeâtres. Je quittai à regret les hauteurs et ne rentrai qu’à la nuit tombante dans le tumulte des rues.

Le chemin de fer que j’allais suivre de Cincinnati à Pittsburg me fît traverser tout l’état d’Ohio. Aux environs de la ville, je vis passer les longues maisons de bois du camp Denison, les champs de manœuvres, les villas converties en hôpitaux, éparses parmi des champs et des bouquets de bois. Le chemin de fer serpente longtemps dans la riante vallée du Petit-Miami, parmi de belles fermes, d’immenses champs de maïs, des prés où restent encore debout les plus beaux arbres, de petits bois dorés par l’automne. On franchit la rivière Scioto à Columbus, ville grande, visiblement florissante, traversée de larges rues où roulent sur des rails les lourds omnibus américains ; des maisons neuves et bien bâties portent des combles à la Mansard. Au-delà de Hanover, on entre dans la fertile vallée de la rivière Miskatung ; des champs de maïs interminables s’étendent entre des collines violettes couvertes de bois ; le chemin de fer suit longtemps un canal qui du fleuve Ohio va jusqu’à Cleveland, sur le lac Érié. Aux approches des Alleghanys, le paysage prend un aspect plus agreste : aux arbres verts se mêlent les conifères ; des ruisseaux bruyans coulent au fond de vallons sauvages.

A quelque distance de Steubenville, un train de marchandises déraillé intercepte quelque temps la voie, et pour retrouver à Steubenville le train qui arrive de Cleveland et auquel le nôtre doit s’atteler, la locomotive descend avec une vitesse effrayante les courbes sinueuses d’une petite vallée où un torrent écumeux court entre des forêts de pins. Nous regagnons le temps perdu au risque d’être jetés par la force centrifuge hors de la voie, qui suit les méandres capricieux du cours d’eau. Le train, lancé à toute vitesse,