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échauffée par les poêles de fer. On voyait encore étendus sur les couvertures de laine grise des couchettes les vêtemens en lambeaux que les fugitifs avaient apportés. Quelques femmes à l’œil hardi riaient tranquillement entre elles, et leur gaîté auprès de ces lits de mort avait quelque chose de cynique et de lugubre. Ont-ils vu souvent de tels tableaux, ceux qui ont donné le signal de la guerre civile ? et s’ils les ont contemplés, ont-ils pu se défendre d’un remords ?

L’hôpital militaire avait un tout autre aspect : les couchettes blanches et propres étaient presque toutes vides ; des guirlandes en papier de couleur pendaient en festons entre les colonnes de bois et sur les plafonds. Au-dessus des portes et des lits de fer étaient accrochés de grands cartons où l’on avait écrit en gros caractères des versets de la Bible, des devises, des sentences patriotiques. La plupart des malades étaient des hommes de couleur. L’un d’entre eux avait eu les pieds gelés pendant les opérations du siège de Vicksburg. Les convalescens étaient assis en groupes ; quelques-uns portaient leurs cheveux tressés en petites queues qui se dressaient sur la tête ; leurs habits bleus reluisaient de propreté.

Après les hôpitaux, je parcourus les cases bâties à la hâte pour les réfugiés, gens de couleur ou petits blancs. Dans le quartier des premiers, les négrillons semblaient sortir de tous les coins. Les femmes faisaient la cuisine. Une vieille femme à mine réjouie passait en portant des patates. « Pourquoi, lui dit mon guide, n’achetez-vous pas des pommes de terre ? Elles coûtent bien moins cher. — Bah ! fit-elle avec un air de tête et un sourire indescriptibles, est-ce que je mange des patates irlandaises ? » Un vieillard à la barbe et aux cheveux blancs se chauffait au soleil sur un escabeau ; il avait au moins quatre-vingts ans, mais il ignorait son âge véritable. « Pourquoi, lui demanda-t-on, ayez-vous fui le sud ? — Pour me reposer : l’oncle Sam ne me fera plus travailler. » Les maisons affectées aux familles blanches réfugiées n’étaient guère remplies que de femmes et d’enfans ; on n’y voyait que peu d’hommes, tous trop vieux ou trop faibles, pour trouver un emploi. Les membres de la même famille restaient réunis ; Ces malheureux nous regardaient avec une curiosité étrange ; les femmes surtout entraient volontiers en conversation : elles ne semblaient connaître ni le sentiment de l’embarras ni celui de la pudeur ; quelques-unes, occupées à se peigner, ne prirent point la peine de renouer leurs cheveux. Mon guide, par les soins duquel avait été récemment ouverte dans le camp une école pour les enfans des réfugiés, demanda à une jeune femme dont le visage délicat et encore enfantin annonçait tout au plus seize ans : « Êtes-vous déjà allée à notre école ? — A l’école ! dit--