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choisi ce point de préférence à tout autre. Il rougit encore plus, et me dit que beaucoup de ses amis au village connaissaient Alton et seraient bien aises d’en avoir un dessin. J’appris quelques jours après à Saint-Louis que les bandes confédérées avaient eu la pensée de surprendre Alton pour y délivrer les prisonniers. Le projet ne fut point mis à exécution : mon dessin de la prison ne servit donc à rien, s’il sortit des mains de mon jeune inconnu, que j’ai depuis soupçonné d’avoir servi dans les armées de la rébellion.

Un peu au-dessous d’Alton, le Missouri et le Mississipi mêlent leurs eaux : celles du Missouri, limoneuses, toutes chargées d’argile, ont le volume le plus puissant. Aussi le Mississipi, jusque-là limpide, prend-il bientôt une couleur grise et terreuse qu’il conserve jusqu’aux méandres de son embouchure. On aperçoit enfin Saint-Louis ; les vastes usines, les hangars, les magasins, les vieilles maisons rouges du port s’allongent le long du quai, où se presse une véritable flotte de blancs steamers. Il y avait peu d’animation sur le port : presque tous les feux des bateaux à vapeur étaient éteints, et sur les talus du quai on ne voyait que peu de ballots et de barriques. La ville, au premier abord, me parut triste et sale. Les maisons de brique qui avoisinent le fleuve sont toutes délabrées. Saint-Louis a déjà, dans quelques parties, l’air d’une vieille ville, bien qu’elle soit entièrement moderne. Le petit poste fondé par Laclède et Chouteau est devenu depuis vingt ans la métropole commerciale du centre du continent. Saint-Louis aspire aujourd’hui à étendre son influence jusque sur la côte californienne : elle a son chemin de fer du Pacifique, déjà terminé jusqu’à Dresden, au-delà de Jefferson-City, la capitale politique du Missouri. Avec les avantages naturels que possède Saint-Louis, maîtresse du plus grand fleuve de l’Amérique du Nord, cette ville aurait fait des progrès bien plus rapides, si elle n’eût été soumise aux énervantes influences de l’esclavage. Le « compromis du Missouri » livra à l’institution fatale un pays que sa latitude aurait dû en préserver, et qui offrait au travail libre un champ d’une admirable fécondité : ce fut le premier triomphe d’une politique envahissante et sans scrupules. Le sud s’engageait alors à ne réclamer pour l’institution favorite aucun autre territoire situé au-delà du 36° degré de latitude. Comment cette promesse fut tenue, quelle suite d’humiliations pour le nord, de victoires pour le sud, les précipita enfin tous deux dans la guerre civile, c’est ce que chacun sait. Pour le Missouri lui-même, l’esclavage n’a jamais été qu’un fléau : il en a écarté l’esprit d’entreprise, l’émigration, le génie industriel. Peut-on comparer les forges et les usines à fer du Missouri à celles de la Pensylvanie ? Pourtant le Missouri a de véritables montagnes de mi-