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dans les journaux des États-Unis, ces réclamations qu’à tout propos les Anglais adressent aux leurs : l’ennui passé, l’Américain a hâte de l’oublier.

Placé sur la limite des états libres et des états à esclaves, le Missouri, où se rencontrent les deux plus grands fleuves du continent américain, devait nécessairement devenir un des champs de bataille de la guerre civile, — champ de bataille excentrique, placé loin des provinces où devait se porter l’effort principal des combattans, mais par là même condamné à servir de théâtre à des scènes plus désolantes, à des passions plus ardentes, plus farouches, moins soumises au frein de l’honneur et de la discipline militaire. Au moment des premiers troubles, la plupart des Missouriens ne cachaient point leurs sympathies pour les rebelles. Les partisans de l’Union ne comptaient guère que pour un tiers dans un état que les relations commerciales, les traditions politiques et surtout l’institution de l’esclavage rattachaient par tant de liens à la nouvelle confédération. Après la première élection de M. Lincoln, il ne tint qu’à peu de chose que Saint-Louis et avec cette ville le Missouri tout entier ne fussent perdus pour la cause du nord. Déjà les partisans de la révolte s’étaient armés, avaient formé un camp à la porte de Saint-Louis et se préparaient à passer une ordonnance de sécession. Quelques unionistes courageux et dévoués organisèrent silencieusement les forces du parti républicain et recrutèrent surtout des alliés dans la population allemande. Le 10 mai 1861, un peu avant le terme désigné pour la publication de l’ordonnance de sécession, le capitaine Lyon, à la tête d’une poignée de volontaires, se rendit au camp Jackson, y entra sans coup férir, et dispersa ceux qui s’y étaient réunis. Une heure d’audace empêcha une vaste province d’unir sa cause à celle des rebelles, et épargna peut-être au nord des années d’efforts et d’immenses sacrifices. A plusieurs reprises, les confédérés essayèrent cependant d’arracher le Missouri à l’Union. Le sang coula dans les rues de Saint-Louis, qui devint le chef-lieu d’une circonscription militaire ; plus de quarante mille Missouriens s’enrôlèrent dans les armées du sud. Un ancien gouverneur de l’état, Sterling Price, qui jouissait encore d’un grand prestige, surtout parmi les populations rurales, fut nommé général par M. Jefferson Davis, et envahit une première fois le Missouri à l’époque où le général Fremont exerçait le commandement à Saint-Louis. L’invasion fut repoussée ; les unionistes, qui avaient fui devant les régimens de Price, purent rentrer dans leurs foyers. Cependant la sécurité ne fut jamais parfaitement rétablie : des bandes armées parcoururent longtemps le pays en tous sens ; la fidélité de ceux mêmes qui avaient servi la cause fédérale fut mise à l’épreuve,