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rôle du cabinet de Saint-Pétersbourg dans toutes ces transactions, il ne lui était guère permis d’ignorer ce que faisaient l’Autriche et la Prusse, il ne lui était guère permis d’ignorer que ces deux puissances allemandes avaient pris « en leur propre main » les griefs de la Germanie, et qu’elles étaient sur le point d’envahir le Slesvig après avoir si bien exécuté leur demi-mesure, dans le Holstein. Demander à ces deux puissances leur « concert et coopération » en faveur du Danemark au moment pu elles lui faisaient la guerre, c’était là à coup sûr l’idée la plus originale qui eût jamais surgi dans un cerveau de diplomate, et certes M. Layard a eu raison de répudier pour la missive du 18 janvier le nom d’une « dépêche de guerre, » que voulut lui décerner l’opposition lors des fameux débats du vote of censure, et de l’appeler plutôt une « dépêche de paix dans toute l’acception du mot ! » Elle fut pacifique en effet, elle fut même quelque chose de plus…

« Qu’est-ce que le gouvernement britannique entend par ces mots de concert et de coopération ? » demanda M. Drouyn de Lhuys à la lecture de cette note du 18 janvier, et la même question revint au foreign office de Vienne et de Saint-Pétersbourg. Le comte Russell répondit longuement et avec une foule de distinguo (24 janvier). Il distingua d’abord entre la diète fédérale, qui n’était cependant plus en cause, puisque les deux grandes puissances germaniques s’étaient chargées du Slesvig, et l’Autriche et la Prusse. Les exigences de la première n’allaient à rien moins, disait-il, qu’au démembrement de la monarchie danoise, et c’est dans cette éventualité qu’il proposait aux puissances concert et coopération « pour assister matériellement le Danemark, si besoin était. » Quant à l’Autriche et à la Prusse, « leur plan semble être d’obtenir du Danemark l’accomplissement de certains engagemens compatibles avec l’indépendance et l’intégrité de cette monarchie. Des complications plus sérieuses sont difficilement admissibles, » et dans tous les cas « l’effet moral » d’une union telle que la proposait le cabinet de Saint-James « suffira pour atteindre le but qu’on avait en vue. » M. Drouyn de Lhuys dut étrangement sourire à ces merveilles qu’on lui faisait espérer de l’effet moral ; cela le ramenait au beau temps de la campagne en faveur de la Pologne. Il s’excusa, et bientôt le prince de Latour-d’Auvergne vint lire au foreign office une dépêche de son gouvernement[1], tendant à expliquer que l’empereur Na-

  1. Elle n’a point été jusqu’ici publiée in extenso ; lord Russell la résume seulement, d’après la lecture que lui en a faite l’ambassadeur français, dans une dépêche ultérieure au comte Cowley du 30 janvier 1864. M. Drouyn de Lhuys a toutefois reconnu la parfaite exactitude de ce résumé, ainsi que le mande lord Cowley dans sa dépêche du 31 janvier.