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éloignement qui a accumulé un trésor de griefs, tristes tous les deux, désabusés, et, comme dit le poète, « avares en paroles pour ; ne pas être prodigues en récriminations… » Le ministre français commença par expliquer qu’un grand nombre de souverains ayant gracieusement accepté les invitations de l’empereur pour un congrès, il ne conviendrait pas à la dignité de l’empereur et il serait contraire aux égards dus à ces souverains qu’une conférence à laquelle ils ne seraient pas appelés fût tenue à Paris. Tout en déclinant la « courtoisie » qu’on avait voulu faire à la capitale de la France, M. Drouyn de Lhuys exprimait également ses doutes que la diète allemande pût agréer Londres, lieu où fut signé ce traité de 1852 qui risque bien de devenir une « lettre morte. » Il avait aussi des objections contre l’idée d’adjoindre à la réunion projetée un représentant de la diète fédérale. Lord Russell l’avait évidemment émise dans le désir d’en finir avec la tactique des Allemands, qui prétextaient toujours de leur Bund pour échapper aux obligations contractées par leurs gouvernemens ; mais M. Drouyn de Lhuys pensait qu’un tel plénipotentiaire du Bund ne manquerait certainement pas d’user de tous les moyens pour de faire les arrange mens de 1852. En général, il déclarait vouloir avant tout attendre que les puissances germaniques eussent indiqué d’une manière précise « leurs exigences envers le Danemark, » à quoi lord Cowley répondit qu’on pourrait attendre ainsi dans l’éternité (for ever), et pendant ce temps la Germanie dicterait sa loi au Danemark. En ce qui touchait cette monarchie Scandinave, et tout en regrettant que sa conduite n’ait pas été « plus libérale » dans les duchés, le ministre de France convint, il est vrai, que ses droits, en vertu du traité de Londres, étaient indiscutables ; mais quant à prendre les armes pour sa défense, le gouvernement de l’empereur « avait besoin devoir plus clair devant lui avant de se prononcer. » Du reste, et malgré ce qu’avait pu dire à Copenhague le général Fleury, l’empereur gardait toujours une pleine liberté d’action selon les circonstances… L’ambassadeur anglais fit un effort suprême pour rompre la glace. « Ce serait, dit-il, une chose pénible (a grievous thing) que la différence d’opinions qui s’est manifestée sur les mérites d’un congrès général fût de nature à diviser les deux gouvernemens à tel point que chacun en vînt à suivre une conduite isolée. J’espère qu’il n’en sera point ainsi. Le gouvernement de la reine fera tout son possible pour l’éviter ; il a le désir sincère d’agir de ; concert avec le gouvernement impérial en cette question. Nous pensons qu’en nous entendant nous pouvons éviter la guerre, qui sans cela est imminente… » — « M. Drouyn de Lhuys me répondit qu’il partageait cette manière de voir ; mais il n’ajouta rien à ces paroles. »