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par le rigsraad et acceptée par le roi. » M. de Bismark, lui, ne comprenait pas pourquoi, tout en traitant d’un arrangement à Paris ou à Londres, il ne pourrait pas s’avancer dans le SIesvig et y saisir un « gage matériel. » A l’instar des pieux compagnons de Néhémie, le président du conseil de Prusse voulait absolument travailler d’une main au temple de la paix, et de l’autre pousser son épée dans les reins de l’agresseur danois.

Le temple manquait malheureusement de bien d’autres bases encore ; le sol même où il devait être placé se dérobait sous lui, et le foreign office n’avait pas encore expédié sa note solennelle que déjà tous les cabinets étaient informés que le gouvernement français se refuserait plus ou moins clairement à la conférence projetée. D’ailleurs, et bien avant l’éclosion de ce projet de conférence, de nombreux indices étaient venus prouver que la France avait depuis un certain temps ses vues originales dans la question des duchés : il suffisait de se rappeler la lettre de l’empereur des Français au duc d’Augustenbourg et le langage tenu par son aide-de-camp à Copenhague. Depuis l’avortement du congrès, le cabinet des Tuileries avait évidemment commencé à envisager le litige dano-allemand sous un jour nouveau. Il éprouvait des doutes et des perplexités, il se demandait si les Danois « ne pouvaient avoir des torts, » s’il ne s’agissait pas sur l’Eider du principe sacré des nationalités, et si M. de Bismark, M. de Beust ou le prince Frédéric ne seraient pas d’aventure les défenseurs du droit nouveau contre un traité vermoulu… À ces grands scrupules vinrent s’ajouter des oublis plus singuliers encore. Et par exemple, lorsque le chargé d’affaires britannique de Paris, M. Grey, « communiquait » à M. Drouyn de Lhuys les instructions données à lord Wodehouse, le ministre français fut « tout étonné » d’y trouver la mention qu’en 1851 et 1852 l’Autriche et la Prusse avaient explicitement renoncé à toute prétention d’une union entre le SIesvig et le Holstein. « Son excellence me déclara n’avoir pas eu soupçon d’un pareil fait, encore moins s’est-il jamais douté que la diète elle-même eût adhéré à cette déclaration ; il prit note des différentes dates citées à ce sujet dans notre dépêche, et dit qu’il examinerait soigneusement toute la question… Il avoua son entière ignorance de tous ces détails[1]. »

Ce n’est pas sans une émotion profonde qu’on peut lire dans les state papers le récit que fait lord Cowley de sa première entrevue avec M. Drouyn de Lhuys où il fut parlé de la conférence (29 décembre) : ce simple récit est toute une situation. On y voit deux grands gouvernemens se rencontrer malgré eux après un

  1. Voyez les dépêches de lord Cowley des 24 et 25 décembre (inclosure).