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monarchie danoise, et la preuve, c’est que la diète de Francfort accueillait avec déplaisir ce projet (le 28 décembre), comme entaché d’une reconnaissance indirecte des droits de Christian IX. En effet, continuait à démontrer ; le ministre prussien, en se saisissant du Slesvig comme d’un « gage, » ne confirmait-on pas par cela même les titres du Danemark sur ce duché, et ne prévenait-on pas tout mouvement révolutionnaire, toute acclamation du duc d’Augustenbourg ?… C’était, comme on le voit, la répétition exacte de la pièce jouée un mois auparavant à propos du Holstein, l’application au pays d’au-delà de l’Eider de la fameuse demi-mesure qui avait fait des merveilles dans le pays en-deçà de ce fleuve. On procédait contre le Danemark par une « exécution » dans la première de ses provinces, par une « saisie » dans la seconde, le tout pour mieux constater sa souveraineté légitime ! Et pour que l’analogie fût complète de tous points, cette fois encore Vienne et Saint-Pétersbourg trouvèrent les argumens de M. de Bismark aussi pleins de vérité que de modération. Cette fois pourtant lord Russell n’y tint plus, la plaisanterie devenait trop forte même pour lui, et il adressa à Vienne, à Saint-Pétersbourg et à Berlin une dépêche identique (29 décembre), dans laquelle il déclarait « que le gouvernement de sa majesté était incapable de comprendre (at a loss to understand) comment une agression du territoire danois pouvait être considérée comme une barrière élevée contre les passions extrêmes de l’Allemagne ; bien au contraire, une telle agression, au lieu d’être un frein, deviendrait un éperon pour les mouvemens révolutionnaires… » C’était parler d’or, et c’était même parler de fer et de feu lorsque lord Russell faisait savoir le 1er janvier 1864 à M. de Bismark, et par le télégraphe, « que l’invasion du Slesvig mettrait en grand danger les relations de la Grande-Bretagne et de la Prusse[1]… » Il est vrai que le chef du foreign office atténua bientôt notablement cette parole trop courageuse, et qu’il en donna le 6 janvier la curieuse explication qui suit : « le gouvernement de sa majesté n’a pas dit que les relations de l’Angleterre et de la Prusse pourraient être exposées par une invasion du Slesvig, bien qu’il crût qu’une pareille invasion pourrait avoir cet effet (might do so), si on ne donnait pas au Danemark le temps nécessaire pour accorder les concessions qu’on lui demandait. Le gouvernement de sa majesté se plaît à croire que le gouvernement de Prusse a, comme celui d’Autriche, l’intention de jouer un rôle honorable dans la crise présente !… » Toujours est-il que cette menace du cabinet de Saint-James fit de l’impression à Berlin. Le 1er janvier si redouté,

  1. Le menaçant télégramme a été omis dans le blue book, mais on le trouve résumé dans la réponse de sir A. Buchanan du 2 janvier. Voyez aussi les explications de lord Russell dans sa dépêche du 6 janvier.